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Celui-ci menaça d’abord de donner, au lieu de sa signature, sa démission. Non seulement Trochu obtenait un poste que le cabinet n’avait pas voulu lui confier, mais il ramenait les gardes mobiles de Paris, au mépris des ordres donnés par le ministre, son chef militaire ; il revenait enfin pour servir des plans de campagne que le gouvernement avait repoussés. Mais, le premier feu jeté, Montauban comprit que se mettre, par un refus, en conflit ouvert avec l’empereur, c’était se fermer l’avenir, qu’en gardant le pouvoir il gardait mille moyens de traverser les mesures contraires à ses vues, et il signa.

Trochu avait essuyé avec calme ces manifestations de mauvaise humeur. Il les acceptait comme les petites épreuves dont il faut payer toujours l’honneur des grands devoirs, et il espérait par une courte patience user cette opposition. Le caprice passionné d’une femme ne saurait prévaloir sur une nécessité évidente ; peu importait que l’empereur ne précédât pas l’armée à Paris, pourvu qu’il y revînt avec elle ; le prince Napoléon, grâce auquel la résolution avait été prise, en presserait l’accomplissement. En effet, tant que le prince resta près de l’empereur, celui-ci persévéra dans la même volonté, et il l’exprimait encore le 19. Ce jour-là, il est vrai, son cousin le quittait, se rendant à Florence[1]. L’Italie donnerait-elle le secours qu’elle avait fait espérer avant la guerre ? L’instant était venu de le savoir, et par son alliance avec la maison de Savoie comme par ses sympathies connues pour la nation italienne, le prince Napoléon semblait le plus capable d’obtenir une réponse favorable. Mais son départ ne laissait pas affaissée et à l’abandon la volonté qu’il étayait. Lui absent, restait un conseiller plus dominateur et plus infaillible encore, l’ennemi, dont la marche, trop conforme aux prévisions de Trochu, avait continué durant nos journées inactives, et dont les succès, commandant à nos propres desseins, ne nous laissaient plus le choix entre plusieurs voies de salut.


II

Au début de la guerre l’ennemi avait trois armées concentrées sur notre frontière du Nord, de la Belgique à Lauterbourg. La première, sa droite, forte de 60 000 hommes sous Steinmetz,

  1. Le prince Napoléon a rapporté les paroles que lui adressa l’empereur au moment du départ :
    « Tu ne me quittes que pour quelques jours : si ta mission ne réussit pas, tu me rejoindras. Les projets de Mac-Mahon sont bien arrêtés : l’armée se retire sous Paris par les places du Nord. C’est sous Paris que nous livrerons probablement une bataille décisive, et d’ici là tu seras de retour. » La Vérité à mes calomniateurs, p. 72.