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et qu'on leur fasse des funérailles officielles. Mais, pour l'assemblée fédérale, combien que doive durer la crise, elle traînera moins qu'ailleurs. Ailleurs, elle sera prolongée ou retardée, car on n'est pas sans inquiétude : soit, c'en est fait peut-être du parlementarisme ; mais après ? mais par quoi le remplacera-t-on ? En Suisse, le successeur est tout trouvé : la démocratie directe est toute prête ; d'autant plus que, chaque canton ayant sa législation propre, la législation fédérale peut être réduite au minimum. Et c'est ainsi que la lutte entre la démocratie représentative et la démocratie directe se ramène encore à n'être, sous une autre face, que la lutte entre le centralisme et le cantonalisme.

Les polémiques sur le service et les dépenses militaires ne sont, elles aussi, qu'un autre épisode du même combat. La Suisse, on le sait bien, n'est pas plus que n'importe quelle puissance en Europe, étant données les circonstances générales, libre de s'armer ou de ne pas s'armer. Si le militarisme y augmente, s'il en vient à menacer le vieil esprit et les vieilles traditions de la Confédération (il n'en est certes pas à ce point, mais il y tend) c'est à coup sûr, sous la pression extérieure de l'omni-militarisme européen, mais ce n'en est pas moins sous une poussée interne, la grande poussée vers la centralisation. Jusqu'où iront ces entreprises de l'État central ? Comment se terminera la lutte ? On ne voudrait pas s'aventurer à le prédire. Mais de deux choses l'une : Ou bien l'État central s'arrêtera à temps, et il sera temps qu'il s'arrête, lorsque, pour passer outre, il lui faudrait s'en prendre aux organismes locaux de toute taille et de toute nature — et alors il se pliera à l'histoire, ou bien il s'attaquera à ces organismes locaux — et alors c'est l'histoire qui l'arrêtera. Les chances sont, de toute façon, pour que force reste à l'histoire. Tout ce qu'on a tenté sans elle et contre elle, a échoué, dans la Confédération helvétique. La loi de la démocratie suisse est de travailler avec elle et de se régler sur elle. Car, ni en Suisse, ni nulle part, elle n'est ni révolutionnaire, comme quelques utopistes le disent, ni réactionnaire, comme quelques théoriciens le pensent : elle est conservatrice et évolutionniste.


Si, maintenant, on cherche ce que d'autres démocraties, la nôtre particulièrement, pourraient bien imiter de la démocratie helvétique, on est obligé de le reconnaître : rien ou presque rien à cette heure : les milieux sont trop différens.

La Confédération suisse est une démocratie de paysans : la France n'a jamais été une démocratie rurale. La démocratie