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d’attachement et que le mal à craindre de ce régime, — l’excès de tout bien étant un mal — serait probablement trop de conservatisme plutôt que trop de radicalisme[1]. »

Il nous paraît inutile d’entamer une discussion sur les in convenions respectifs de ces deux excès contraires ; ce qui est certain et ce qu’il faut noter, sans en vouloir déduire plus qu’il ne convient, c’est que la démocratie directe, en Suisse, s’est jusqu’ici montrée plutôt conservatrice, la démocratie représentative, plutôt radicale. Le référendum y a toujours ou presque toujours agi dans le sens conservateur. De 1874 à 1884, pour ne point parler d’expériences plus récentes, il a été procédé à onze consultations populaires, dans lesquelles dix-huit questions de tout ordre, politique et économique, étaient soumises au peuple ; dix-huit réformes ou innovations lui étaient proposées. Cinq fois seulement, il a répondu, oui ; treize fois, il a répondu : non. Parmi les cantons qui le plus fréquemment répondent : non, figurent les cantons catholiques ou fortement mêlés de catholiques, les cantons ruraux, les cantons primitifs, à démocratie directe, à landesgemeinde[2].

Là encore, s’affirme et s’accuse d’une manière saisissante la persistance des courans historiques. En Suisse, au moins dans une grande partie de la Suisse, c’est la démocratie directe qui est traditionnelle et historique ; c’est le régime parlementaire qui est une superfétation, de date récente. Aussi n’est-il personne qui n’ait été frappé, on ne veut pas dire du discrédit où est tombée l’Assemblée fédérale, puisque tout le monde prodigue à ses membres les marques extérieures du respect, mais de l’inattention qu’on met à suivre ses débats et du peu d’importance que l’on attache à ses résolutions. La raison de ce détachement est toute simple. Ce n’est point que le Parlement helvétique ne contienne pas d’hommes de valeur. Ses trois partis, radicaux, centre et catholiques, en ont plus d’un dont ils peuvent s’enorgueillir.

Sans remonter jusqu’aux morts et jusqu’aux disparus, sans rappeler les jours glorieux de Ruchonnet et de Welti (nous n’en sommes pourtant qu’au lendemain), il n’est pas permis de dédaigner un groupe comme le groupe radical, aux premiers rangs duquel on voit des chefs tels que M. Favon, de Genève, M. Comtesse, de Neuchâtel, M. Brenner, de Bâle, M. Forrer, de

  1. Sir Henry Sumner Maine, Essais sur le gouvernement populaire, trad. franc, p. 66-67.
  2. Lucerne, Uri, Schwyz, les deux Unterwalden, Zug, Fribourg, Appenzell (Rhodes intérieures), Saint-Gall, les Grisons, Argovie, le Valais. Dans le canton de Glaris, la population est, pour les trois quarts, protestante. Voy. la magistrale étude de M. Théodor Curti, Geschichte der Schweizerischen Volksgesetzgebung, Zurich. 1885.