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souveraineté populaire permanente, la démocratie directe, l’extrême démocratie, en matière fédérale. Il en coûterait peu de montrer que les choses, historiquement, n’ont pas beaucoup changé : quoiqu’elle ne soit plus tenue d’obéir aux instructions de ses commettans, l’Assemblée fédérale ressemble encore et toujours à la Diète ; la souveraineté populaire est toujours comme suspendue sur la tête des députés et, dans les questions vraiment importantes, ils ne légifèrent que ad referendum. (C’est même de la diète helvétique qu’est venu ce mot qui devait faire une si singulière fortune : les envoyés de chaque canton, munis d’instructions qui les liaient, ne décidaient de rien, écoutaient seulement pour en référer, ad referendum, et, à la diète suivante, rapportaient la réponse de leur canton.)

Comme la Confédération dont ils sont les membres, et comme le canton des Grisons qui nous sert de point de comparaison, tous les cantons suisses sont des démocraties, s’ils ne sont pas tous des démocraties du même degré[1].

Ou la législation directe par le peuple, ou le référendum obligatoire, ou le référendum facultatif : partout le référendum, presque partout l’initiative, et partout une démocratie nettement caractérisée, qui partout s’approche de la démocratie extrême et qui, plus ou moins ancienne, est une démocratie historique.

C’est une démocratie par ses institutions politiques ; c’en est une encore, et plus peut-être, par ses institutions économiques, par ses traditions, par ses coutumes et ses mœurs, par tout son habitus, par toute sa manière d’être. On ne trouve pas partout, comme dans les Grisons, le droit de parcours, ce ressouvenir ou cette survivance de l’antique communauté de village mais en beaucoup d’endroits on trouve l’allmend, qui n’en est pas une survivance moindre, et partout ou presque partout, dans les 3 200 communes de la Suisse, une commune très forte, avec des

  1. Quelques-unes ne sont pas moins que des démocraties extrêmes, absolues et directes : plus absolues et plus directes que la démocratie grisonne elle-même, en ce que ces cantons n’ont point de Grand-Conseil, se gouvernent et s’administrent sans intermédiaire par une landesgemeinde périodique, qui est une assemblée de tout le peuple de tout le canton, non plus seulement, ainsi que dans les Grisons, une landesgemeinde de cercle ou de judicature. Quatre cantons, dont deux cantons sont doubles, se régissent ainsi : Uri, Glaris, les deux Unterwalden et les deux Appenzell. Dans six autres cantons : Zurich, Berne, Schwyz, Soleure, Argovie, Thurgovie, et un demi-canton, Bâle-campagne, il y a, comme dans les Grisons, une assemblée locale de représentans du peuple, mais elle ne fait que préparer les lois, qui ne deviennent exécutoires qu’après avoir reçu directement, expressément, la sanction populaire. Huit cantons : Lucerne, Zug, Schaffhouse, Saint-Gall, le Tessin, Vaud, Neuchâtel, Genève, et un demi-canton, Bâle-ville, admettent que les lois sont des lois et doivent être exécutées, aussitôt votées dans les règles par l’assemblée des représentans du canton ; mais, pendant un certain délai, la faculté y est réservée aux citoyens, en nombre déterminé, de réclamer sur chacune d’elles un vote populaire direct. Dans le Valais, le référendum est obligatoire, mais seulement pour les lois de finances : Fribourg est l’unique canton où le referendum n’existe en matière cantonale que pour la révision de la constitution, sans être applicable aux lois ordinaires. Mais il n’a pu, plus que les autres, s’y soustraire en matière fédérale.