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Landrichter de la Ligue Grise, Bourgmestre de la Maison de Dieu, Landammann des Dix Judicatures, il y a un gouvernement de cinq membres ; à la place du vieux Bundestag où les députés des Hochgerichte votaient suivant les instructions de leurs commettans, il y a un Grand-Conseil dont les députés ne sont plus liés par un mandat impératif, mais dont les décisions ne deviennent des lois que si le peuple les accepte : une démocratie jadis, une démocratie à présent et, sauf peut-être en un point ou deux, la même démocratie à présent et jadis. Une république de communes ; autant de républiques que de communes, puisque la nature n’a pas changé, et que c’est encore la même vallée se déroulant le long du fleuve, avec des villages de loin en loin, et, tous les trois ou quatre villages, une commune, et, toutes les huit ou dix communes, un bourg, chef-lieu de cercle, y formant comme un nœud vital, où toute cette liberté, toute cette souveraineté, toute cette démocratie éparpillée et toutes ces républiques éparses se concentrent et agissent.

Ainsi, dans la vallée du Rhin antérieur, l’immuable nature a gardé à peu près intactes les institutions, qui ont gardé à peu près intactes les mêmes formes. Le peuple s’y assemble toujours en landesgemeinden, par cercles ou par judicatures, à la même époque et dans le même enclos, dans le pré, dans le courtil de l’abbaye. A l’ouverture de ces landesgemeinden, on dit toujours la même prière, on emploie la même procédure, pour discuter sur les mêmes affaires, qui reçoivent les mêmes solutions. Le président ou les députés qu’on élit prêtent le même serment, sont, sous le même titre, investis des mêmes pouvoirs et se couvrent du même manteau. Les juges qu’on y nomme appliquent, avec le même bon sens, le même droit très simple, les mêmes lois à peine rajeunies, prononcent dans les mêmes termes, conformément aux mêmes coutumes, sous les mêmes pénalités. Les chansons que l’on chante, en ramenant de la landesgemeinde les magistrats nouvellement élus sont de vieilles chansons et les drames que l’on jouait, il y a une dizaine d’années encore, aux jours de fête populaire, aux solennités religieuses, judiciaires ou civiques, sont de vieux drames, comme cette Passion de Somvix où le Christ est jugé suivant la loi grisonne[1]. Quoique bien des générations se soient succédé depuis la première landesgemeinde, c’est toujours le même peuple qui s’assemble, au même dimanche de mai.

Il semble qu’il y ait en ce pays une force inépuisable de

  1. Exemple frappant de la persistance des formes et preuve de la force du pouvoir judiciaire dans les démocraties anciennes : sur vingt-cinq scènes dont se compose la Passion de Somvix, vingt et une sont des scènes judiciaires. Voy. des Somvixer Passions-Spiel. Ein Vortrag von Dr C. Decurtins, dans les Monatrosen. Stans, 1878.