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toutes pièces en 1798, et ce n’est plus tout à fait l’ancienne Confédération décrite par les auteurs et reconnue au traité de Westphalie, ligue d’États que la fortune ou le calcul a faite, que la fortune ou le calcul peut défaire, sans lien permanent, sans lien de chair. Il y avait auparavant treize membres et point de corps qui eût son existence propre, qui à peine eût quelque existence autre que les treize vies locales des treize cantons : il y a maintenant un corps en dix-neuf membres et, bien qu’ils ne soient pas privés de toute liberté de mouvement, cependant une volonté commune, un sens plus haut d’une mission nationale plus large, détermine leurs mouvemens divers, les dirige et les coordonne. Ce n’est pas l’État centralisé, de style français et d’inspiration jacobine, mais ce n’est déjà plus l’État éparpillé ou, pour mieux dire, une mosaïque d’États ; ce n’est plus l’État acéphale. L’histoire n’est point abolie ; elle n’est point interrompue : elle tourne.

Quelque chose apparaît déjà, qui ne s’impose pas encore par son évidence : un embryon d’État central, de pouvoir central, le germe de la Confédération moderne. Mais, ce n’est déjà plus une confédération d’États et, si ce n’est pas encore l’État fédératif, au moins va-t-on s’en rapprocher au fur et à mesure que le germe va s’épanouir et que l’embryon va se développer. L’évolution de ce germe, de cet embryon de pouvoir ou d’État central est, à elle seule, toute l’histoire de la Suisse depuis le commencement du siècle. La croissance de l’État central, les résistances des États particuliers ; la croissance du pouvoir central, les résistances des pouvoirs cantonaux ou des libertés cantonales ; les tentatives d’expropriation graduelle des anciens États historiques par l’État politique et juridique moderne, dans toute l’histoire de la Suisse au XIXe siècle, pour qui la regarde en philosophe, il n’y a guère que cela. Agrandissemens de territoire, comme celui de 1814 qui portait définitivement à vingt-deux le nombre des cantons[1], modifications et retouches à la constitution, quel que soit l’article révisé, luttes des partis et troubles civils même, ces faits et les autres sont secondaires par rapport au fait que, dans la Confédération moderne, depuis le commencement du siècle, un embryon d’État ou de pouvoir central, au-dessus et au travers de tous les faits, poursuit régulièrement son évolution. Mais il la poursuit sur un champ et comme dans un cadre historique. Entre la plus récente et la plus ancienne histoire de la Suisse, les communications ne sont pas coupées : ce sont deux parties du même tout, et qui n’ont pas cessé de se tenir et de s’attirer par une multitude de fils.

  1. Par l’entrée dans la Confédération du Valais, de Neuchâtel et de Genève.