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des bourgeois et qui, en cette qualité, ne désiraient rien tant que de jouer aux seigneurs et d’avoir des sujets. De là, cet aspect belliqueux et quasi conquérant que la Confédération revêtit au XVe siècle ou que lui donnèrent, malgré elle, l’ayant revêtu pour leur compte, quelques-uns de ses membres, les plus forts, les plus influens, les villes, Zurich et Berne, élevées tout de suite au rang de premier canton, de Vorort, de canton directeur. De là, la réduction en bailliages de l’Aargau et du Thurgau, jusqu’au Rhin et jusqu’à Constance. De là, dans la Confédération, des élémens moins démocratiques, si ce n’est un peu oligarchiques, et moins de démocratie dans la structure même de la Confédération. Les villes qui se gouvernent par des conseils sont peu sympathiques aux cantons ruraux, qui se régissent par des landesgemeinden, des assemblées populaires, des Champs-de-mai, comme des Barbares. Dans le groupement officiel, la Confédération des Huit Cantons, deux groupemens plus intimes, par affinités naturelles, s’effectuent ou se dessinent parfois : d’une paît, Lucerne, Zurich et Berne ; de l’autre, les Waldstätten, Glaris et Zug. Les villes sont moins démocratiques ; les cantons ruraux le sont davantage, mais on ne peut contester que l’ensemble, à le juger en gros, ne soit une confédération de démocraties. Les villes sont sans horizon, bornées, emprisonnées par des montagnes, et, comme les vallées ceintes de pics infranchissables, vouées géographiquement à la démocratie.

Une ligue de cantons indépendans en fait, qui s’établit au confluent de trois langues, de trois races et de trois civilisations, à l’intersection de la politique française et de la politique allemande, qui peut, à son gré, ouvrir ou fermer les routes d’Italie ; ligue assez redoutable pour qu’on n’essaye pas de la briser par la force, auxiliaire assez utile pour qu’à tout prix on tente de se le concilier ; État diffus, un peu rudimentaire, aux ressorts lourds et médiocrement ajustés, qui de temps en temps se déboîtent ou divergent ; s’il faut tout dire d’un seul mot et répéter toujours le même mot : République de paysans, confédération de républiques paysannes, avec les qualités et les défauts du paysan : laborieuse, endurante, avisée, amie de l’argent ; avec des vues très courtes, mais très nettes, dont la plus nette est celle-ci : demeurer libre et faire du profit, en se gardant des deux côtés et en recevant des deux mains ; au résumé, une démocratie. C’est bien ainsi que, durant ses trois premières époques, du XIIIe siècle à la fin du XVIIIe siècle, en trois cantons, en huit cantons, en treize cantons[1], la Confédération helvétique fait devant l’Europe

  1. La première période de la Confédération où son territoire s’agrandit sans qu’augmente le nombre des Confédérés va de 1353, date de l’accession de Berne, à 1481, date de l’accession de Fribourg et de Soleure. En 1501, Baie et Schaffouse, en 1513, Appenzell vinrent compléter le chiffre des Treize Cantons et ouvrir la troisième période de la Confédération, laquelle ne sera close que dans l’universel ébranlement produit par la Révolution française.