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des inconvéniens à associer les consuls eux-mêmes aux travaux de la commission d’enquête. C’était engager leur responsabilité plus peut-être que de raison. M. Cambon, sur les indications de M. Hanotaux, a proposé de se contenter de délégués que les consuls désigneraient. Cette proposition a été acceptée avec beaucoup d’empressement par la Russie, et l’Angleterre n’a pas tardé à s’y rallier. Il va sans dire qu’elle devait être agréable à la Porte dont elle ménageait davantage la souveraineté. Il a donc été décidé que les délégués des consuls anglais, russe et français à Erzeroum accompagneraient la commission d’enquête, la seconderaient dans ses travaux, et qu’ils pourraient soit suggérer au président les questions à poser aux témoins, soit les poser eux-mêmes. Les délégués prendront connaissance des procès-verbaux et adresseront des rapports à leurs gouvernemens respectifs.

Cette solution a fini par satisfaire tout le monde. Elle laissait à la Porte la direction de l’affaire ; il n’était plus question d’opérer, par l’intermédiaire des consuls, une enquête latérale ; les consuls mêmes étaient remplacés par de simples délégués. Il est vrai que le moyen était assuré à ceux-ci de rendre leur intervention efficace : la Porte, après avoir hésité un moment à leur reconnaître le droit de suggérer ou de poser des questions, a fini par y consentir. L’Angleterre tenait essentiellement à cette garantie, et elle en a même fait une condition absolue de son consentement au reste de la combinaison : il était impossible de la lui refuser. Quant au motif pour lequel trois puissances seulement auront des délégués à la commission d’enquête, il est des plus simples : on n’a pas fait de choix, on n’a pas prononcé d’exclusion, mais toutes les puissances qui ont signé le traité de Berlin ne pouvaient évidemment pas être représentées à l’enquête, et, si on s’est borné à trois, c’est que trois seulement ont des consuls à Erzeroum. Le fait que les autres n’en ont pas, montre qu’elles n’ont, au moins jusqu’ici, aucun intérêt dans la région. Les délégués anglais, français et russe sont d’ailleurs en nombre suffisant pour que l’enquête soit impartiale et sérieuse. Il importe de savoir ce qui s’est passé en Arménie, afin que, si des excès ont été vraiment commis, la Porte les réprime. Quelles que soient les idées d’avenir que certaines puissances peuvent avoir, aucune d’elles à coup sûr n’a l’intention de soulever en ce moment la question politique arménienne : il s’agit seulement d’une question d’humanité.


Francis Charmes.
Le Directeur-gérant,
F. Brunetière.