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devra rompre avec certaines pratiques du passé et présenter un personnel politique renouvelé. Le passé n’a pas été sans gloire, mais la gloire elle-même ne couvre pas tout.

Nous verrons ce qui se passera en Italie : le spectacle que donne en ce moment M. Crispi est curieux pour le moraliste et pour l’historien. En attendant, la résistance s’organise contre lui, avec une vigueur qui ne le cède en rien à la sienne. Des hommes, jusqu’ici très éloignés les uns des autres, font cause commune pour le renverser. On a signalé l’entente qui s’est produite entre MM. de Rudini, Zanardelli, Brin et Cavallotti. La présence de M. Brin dans cette coalition a paru d’autant plus significative qu’on lui attribue toute la confiance d’Humbert Ier. On s’est demandé, en conséquence, si le roi, était d’accord avec son ministre autant que celui-ci voulait le faire croire. M. Crispi ne négligera rien pour donner au pays et à l’Europe l’impression que le roi est avec lui : il croit le tenir, il ne le lâchera pas. Sa volonté est pour le moment la plus forte, et il conduit le mouvement avec une vigueur dictatoriale qui s’impose à tout le monde. Jamais ministre attaqué au point le plus sensible n’a fait face au danger avec plus d’énergie : l’attitude serait vraiment belle si la cause était meilleure. Nous ne savons pas si on peut comparer M. Crispi au justum et tenacem propositi virum du vieil Horace, mais certainement on peut dire de lui que impavidum ferient ruinæ.

Il a beaucoup été question des affaires d’Arménie depuis quelque temps ; elles ont pris, en effet, un caractère assez sérieux pour s’imposer à l’attention des puissances, et elles ont amené entre la Porte, l’Angleterre, la Russie et la France un échange de vues d’où est sorti un accord définitif. Cet accord, toutefois, ne s’est pas établi sans difficultés, et notre diplomatie paraît y avoir utilement contribué par une action discrète, mais efficace, dont le but constant a été de concilier les intérêts en présence. Les incidens qui ont provoqué les préoccupations de plusieurs puissances sont encore imparfaitement connus. Des troubles plus ou moins graves ont éclaté sur certains points de l’Arménie. Le sang a coulé, et le bruit s’est bientôt répandu que la révolte avait été réprimée d’une manière barbare. En Angleterre en particulier, l’opinion s’en est vivement émue. Les Arméniens, on le sait, sont actuellement dispersés dans le monde entier : il y en a en Angleterre, en France, en Russie, en Amérique, et ils ont partout fondé des comités très actifs, qui cherchent et qui trouvent des protecteurs généreux. M. Gladstone est un des patrons de la cause arménienne, et il a fait entrer dans son dernier cabinet M. Bryce, qui en était le défenseur attitré : c’est dire, que, dans le sein même du ministère anglais, les Arméniens étaient sûrs de trouver des appuis dévoués. Pourtant, on pouvait croire que le rapprochement qui s’est opéré, et dont on a tant parlé, entre l’Angle-