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bureau de la Chambre. Les a-t-il remis tous ? on ne le saura jamais. S’il y en avait qui l’intéressassent personnellement, il est hors de doute qu’il n’aurait pas eu la simplicité de s’en dessaisir. Le dépôt qu’il a fait ne prouve rien que contre les autres, notamment contre M. Crispi et un nombre considérable de ses amis. Que M. Crispi ait eu des rapports fréquens avec la Banque romaine, on s’en doutait bien un peu ; le fait, en tout cas, ne saurait plus être contesté. M. Crispi a fait ce qu’il a pu pour empêcher la Chambre d’accepter le dépôt de M. Giolitti ; mais les Chambres sont curieuses, et elles ont quelquefois le devoir de l’être. Qu’aurait-on dit si la Chambre italienne avait refusé de prendre connaissance du dossier ? On l’aurait accusée de montrer peu de souci de l’honneur de ses membres et de vouloir empêcher la lumière de se faire sur une question qui passionnait le pays. Le plus sage, de sa part, aurait été sans doute de remettre le dossier de M. Giolitti entre les mains de la justice ; elle a préféré nommer une commission de cinq membres pour le dépouiller et lui en rendre compte. La commission s’est mise à l’œuvre aussitôt et a travaillé sans désemparer, jusqu’à ce qu’elle eût examiné toutes les pièces du dossier ; puis elle a fait un rapport où elle a dit la vérité, toute la vérité. Les Italiens appelaient volontiers le scandale de la Banque romaine le Panamino, petit Panama : pour une fois, ils cherchaient à faire moins grand que nous. Mais, hélas ! en présence du rapport de la commission d’enquête, il a bien fallu reconnaître toute l’étendue du mal. Incontestablement notre Panama était dépassé. M. Crispi n’a pas hésité. Il avait, paraît-il, en main un décret royal qui suspendait éventuellement la Chambre : il l’a appliqué à la circonstance. La session, à peine entamée, a été interrompue, et le ministère, dans une espèce de message au roi, en a rejeté la responsabilité sur ceux qui avaient si malencontreusement troublé les travaux de l’assemblée. Mme Crispi, dont la correspondance personnelle avait été livrée avec le reste, a intenté un procès à M. Giolitti. D’autres ont suivi cet exemple. L’émotion a été générale, et M. Giolitti lui-même n’en a pas été exempt, car il a quitté Rome, puis l’Italie, et ne s’est arrêté qu’à Berlin. L’avenir montrera si M. Crispi a été vraiment habile dans cette affaire, mais il faut reconnaître qu’il a fait preuve d’un tempérament peu ordinaire. Les faits qu’on lui reproche ne sauraient être niés, puisqu’on en a la preuve matérielle : aussi ne les nie-t-il pas, mais il ne perd pas davantage son temps à se justifier. On le dénonce à la Chambre, il renvoie la Chambre. Il fait venir des troupes à Rome pour maintenir l’ordre, s’il en est besoin, et il laisse entendre qu’il ne reculera pas devant une dissolution du Parlement et un appel au pays. Aucun autre dénouement ne paraît possible après l’éclat qui a eu lieu, mais il faut convenir que celui-là est des plus hasardés. N’importe ! M. Crispi accepte cette solution, et il fera certainement tout