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que M. Brisson a mis aux voix la censure avec exclusion temporaire, qui a été aussitôt votée à une écrasante majorité. Puis la séance a été suspendue, et M. Jaurès est sorti du Palais-Bourbon en souriant.

Il est difficile de prévoir si la manière dont il a présidé cette séance profitera ou non à M. Brisson. Les uns lui savent gré d’avoir expulsé M. Jaurès ; d’autres croient qu’un peu moins d’énergie, montrée plus à propos, aurait empêché cette scène pénible de se produire et d’atteindre ce dénouement. La session s’est terminée en laissant tous les esprits incertains et perplexes sur ce que nous réserve la session prochaine. Évidemment, le ministère, bien qu’il n’ait rien fait pour empocher l’élection de M. Brisson, ne se résigne pas à en accepter les conséquences. M. le président du Conseil a demandé, une fois, que le gouvernement fût protégé, et un assez grand nombre d’autres fois il est intervenu de sa place comme s’il présidait lui-même, à défaut du président. La situation parlementaire est donc trouble et tendue : il y a partout de la mauvaise humeur, de l’irritation, de l’impatience, et il est à craindre que d’aussi courtes vacances ne calment pas ces sentimens. On a voté deux douzièmes provisoires : ils suffisent provisoirement, mais nous serions bien étonnés si on s’en tenait là. La session ne recommencera utilement que le 15 janvier, et, quand même un certain nombre de séances ne seraient pas encore perdues en interpellations, l’idée de terminer la discussion du budget en six semaines se présente à l’esprit comme un paradoxe invraisemblable. C’est mal finir l’année, c’est mal en commencer une autre. Il est douteux que l’absence de M. Jaurès pendant quinze séances suffise, par le calme relatif qu’elle produira, pour porter remède à ce que cette situation a de fâcheux.


Nous disions il y a quinze jours que le gros nuage qui s’était formé en Italie se dissiperait peut-être sans que l’orage éclatât. Ce vœu ne s’est pas réalisé. Le dossier de M. Giolitti était plus dangereux qu’on ne l’avait imaginé : il a fait l’effet d’une bombe en plein Parlement, et il semble bien que tout le monde en ait un peu perdu la tête. Nous parlons du monde politique, car le public reste, malgré tout, assez indifférent. On se rappelle l’origine de l’affaire. M. Giolitti était président du Conseil au moment où a eu lieu le procès Tanlongo, et, à ce titre, usant d’un droit contestable et dans tous les cas très dangereux, il a distrait de l’instruction un certain nombre de pièces. Le fait a bientôt été connu, M. Giolitti ne l’a pas nié. Ses adversaires politiques l’ont exploité contre lui avec plus de passion que de prudence ; ils n’ont pas manqué d’insinuer et bientôt d’affirmer que les papiers retenus par M. Giolitti étaient surtout compromettans pour lui-même, et, à force de le dire, peut-être l’ont-ils cru. On a si bien harcelé, tourmenté, persécuté l’ancien ministre à l’occasion de ces papiers, qu’il a fini, dès l’ouverture de la session parlementaire, par les déposer sur le