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On ne saurait imaginer, d’ailleurs, un historien plus consciencieux. Pour pénétrer plus à fond dans l’histoire de Marie Stuart, il se rend en Espagne, explore toutes les archives du royaume. De retour en Angleterre il rêve de découvrir d’autres sources encore, interroge les paysans écossais, se fait chanter les vieilles ballades populaires. Ce qui n’a point empêché tous les historiens ses confrères de l’accuser d’inexactitude ; et même le plus célèbre d’entre eux, Freeman, de l’accuser d’inexactitude volontaire et préméditée.

Le récit de cette longue lutte de Freeman et de Froude formerait, à lui seul, un curieux chapitre d’histoire et de psychologie littéraires. C’était aux prises le bon sens le plus lourd et la malice la plus aiguisée. Freeman injuriait ; Froude répliquait le plus galamment du monde, signalant seulement à son adversaire telle ou telle erreur qu’il venait de commettre. Le plus souvent même il ne répliquait pas : et c’est alors que Freeman devenait enragé.

Dans ses lettres à M. Skelton, à peine si Froude relève en passant les accusations de ses contradicteurs. « Je suis, dit-il, comme un homme attaché à un poteau et à qui des ânes viennent donner des coups de pied. La vérité est qu’en douze volumes, j’ai laissé passer cinq erreurs ; et chacun de ces malheureux en commet au moins douze pour découvrir une des miennes. »


Cinq erreurs, sur douze volumes, ce n’était guère, en effet ; mais peut-être Froude, en affirmant cela, commettait-il une erreur de plus. Passionné comme il l’était pour les documens authentiques, avec un génie de recherche et de découverte qui faisait de lui le mieux informé des historiens anglais, il avait, à un degré vraiment incroyable, l’instinct de l’inexactitude.

Au retour d’un voyage en Australie, il décrivait en ces termes la ville d’Adélaïde : « Sept milles plus loin, nous vîmes au-dessous de nous, dans un vallon qu’une rivière encerclait, une ville de cent cinquante mille habitans, où personne n’a jamais connu, ni jamais ne connaîtra, un seul moment d’inquiétude au sujet du retour régulier de ses trois repas quotidiens. » Or il se trouve qu’Adélaïde n’est point située dans un vallon, mais sur une colline ; que nulle rivière ne la baigne ni ne coule aux environs ; que sa population, au moment où la visita Froude, s’élevait tout au plus à soixante-quinze mille âmes, et que, à ce moment même, les habitans d’Adélaïde souffraient d’une terrible disette.

De la ville de Port-d’Espagne, qu’il venait de voir, il écrivait : « Les rues y sont larges et ombragées de grands arbres ; chaque maison est entourée d’un jardin où poussent des caféiers. Les pluies sont d’une abondance extrême, et font déborder presque journellement les