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lettrés eurent l’impression d’un nouveau génie qui s’était levé parmi eux.

Aussi M. John Morley, qui, la même année, prenait la direction de la Fortnightly Review, s’empressa-t-il d’engager Pater parmi ses collaborateurs réguliers. Et Pater en effet collabora régulièrement à la Fortnightly Review, — régulièrement, mais à sa manière, c’est-à-dire avec sa lenteur de travail habituelle, car il lui fallait un an, ou à peu près, pour écrire un article d’une vingtaine de pages.

En 1873 il recueillit ses Essais en un volume qu’il intitula : Études sur l’histoire de la Renaissance. C’est le plus connu de ses ouvrages, et peut-être est-il supérieur en effet, pour la simplicité du sujet et la nouveauté des idées, à l’ouvrage qui suivit, à ce roman philosophique, Marius l’Épicurien, dont j’ai naguère rendu compte ici. Mais il semble bien que Marius ait eu pour Pater l’intérêt d’une autobiographie ; et l’on sent vraiment que tout son cœur s’est exprimé dans ces phrases si douces et si pures, pareilles à un chant léger qu’on entendrait en rêvant. Ces phrases lui demandèrent, en tout cas, douze ans de travail : car c’est seulement en 1885 que parut le roman. Dans l’intervalle, Pater avait voyagé sur le continent, visitant l’Allemagne, l’Italie, mais surtout la France, qu’il aimait comme sa vraie patrie. Tous les étés il explorait quelque coin d’une de nos provinces, se fatiguant à ces explorations jusqu’à en être malade. Dans une lettre qu’il écrivait d’Azay-le-Rideau, en 1877, il disait à M. Gosse : « Je trouve toujours un extrême plaisir à compléter ma connaissance de ces petites villes françaises, et toujours j’en reviens un peu las, mais avec l’esprit aimablement rempli du souvenir de vitraux, d’anciennes tapisseries, et de fraîches fleurs sauvages. »

Mais le centre de sa vie était toujours à Oxford. Dans ses dernières années, il y fit une série de conférences sur Platon et le Platonisme : et il eut même, quelque temps, à diriger son collège en qualité de doyen. Mais tout office public l’épouvantait, et il n’aspirait qu’au repos. Quelques courts Essais, un roman qui ne fut jamais publié en volume, quatre ou cinq contes philosophiques : c’est, avec ses conférences sur Platon et ses deux grands ouvrages, tout le bagage littéraire qu’il a laissé derrière lui. Jusqu’au bout cependant il a travaillé, s’épuisant et se torturant à la recherche de ses phrases comme jamais peut-être aucun autre écrivain. « Il lui fallait tant d’efforts pour mettre une phrase sur pied, rapporte M. Gosse, que sans son extraordinaire courage il aurait certainement renoncé à la littérature. Je me rappelle la peine qu’il eut à écrire le premier chapitre de Marius : une vraie peine, car la fatigue le rendait malade, avec des accès de fièvre, une insomnie persistante, un sentiment de dépression incroyable. Plus tard, à la vérité, le travail lui était devenu un peu plus facile. Il me disait il y a un an que, s’il