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LE COMTE DE CAPRIVI
SES ENNEMIS ET SA DISGRACE

Lorsqu’on apprit, en 1890, que le comte de Caprivi avait été nommé chancelier de l’empire allemand, on s’étonna que l’empereur Guillaume II eût fixé son choix sur un soldat qui, fort entendu aux choses de la guerre, passait pour n’avoir en matière de politique qu’une ferveur de novice. On s’empressa de prédire que ce parvenu, investi subitement de la succession du prince de Bismarck, ne tarderait pas à plier sous le poids des affaires, à se déconsidérer par son insuffisance. On s’était trompé. Le nouveau chancelier prit à tâche de justifier sa fortune et la faveur que lui témoignait son souverain, et comme il possédait le don de la parole, que son genre d’éloquence sobre et contenue avait de l’action sur les assemblées, il ramena à lui une partie des mécontens.

On a publié l’an dernier un recueil de ses discours, et quiconque les lira avec quelque attention sera disposé à reconnaître qu’il avait l’étoffe d’un homme d’État. Il y a quelques mois, un professeur allemand, M. Max Schneidewin, Hanovrien de naissance, philologue et philosophe de son métier, pour qui ces discours étaient paroles d’évangile, a cru se devoir à lui-même de les gloser, de les paraphraser lourdement dans une brochure intitulée : Le Système politique du comte de Caprivi[1]. Il avait mal choisi son titre : je ne crois pas que M. de Caprivi se soit jamais piqué d’avoir un système politique. Cet homme avisé et d’une irréprochable tenue avait le sentiment net des situations, l’esprit d’opportunité, beaucoup d’empire sur lui-même ; se

  1. Das politische System des Reichskanzlers Grafen von Caprivi, von Prof. Dr. Max Schneidewin ; Danzig, 1894.