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Veux-tu peut-être que sur deux files égales — s’avancent, drapées dans leurs peplos, aux côtés — des éphèbes les vierges athéniennes ?

Demande ! Et de l’or triomphal aucune liqueur — ne sera digne, si ce n’est tes larmes — pures, ou le pur-sang de tes veines.

N’était l’impossibilité que j’ai dite, qui hésiterait à voir dans ces vers une imitation directe du ciseleur de rimes auquel nous devons l’Épée et le Vieil orfèvre ? — Choisissons encore un sonnet, dans le petit nombre de ceux qui peuvent passer ici sous les yeux du lecteur.


Souvenir de Ripetta.

Et dans mon âme encore je vous vois telle — que je vous aimai tout d’abord. Haute et souple — vous passiez, souriante et lumineuse, — par la claire gelée du matin hivernal.

De longs rameaux d’amandier, la servante — derrière vous les portait. Inconsciente, — vous laissiez derrière vous à celui qui regardait — un très beau rêve floréal.

Sur la route claire et solitaire — elles voilaient le ciel de turquoise — les nombreuses fleurs d’amandier, par enchantement.

Et il se dressait à travers la forêt imaginaire — le palais du prince Borghèse — comme un grand clavecin d’argent.


Avec l’Intermezzo, le poète de vingt ans avait jeté le plus fort de sa gourme, au moins en vers ; il en resta suffisamment pour effaroucher les lecteurs de ses romans, comme on le verra. Les poésies ultérieures sont plus tempérées ; la volupté s’y fait plus voilée, plus sourde ; le cœur y parle autant que les sens, d’une voix si triste, si lasse ; avec des reprises au bonheur, des rechutes dans la désespérance. L’homme de désir et d’illusion demeure ; l’artiste, de plus en plus possédé par l’ivresse et la préoccupation de son art, a emprisonné le jeune faune. Habile ouvrier de prose, M. d’Annunzio préfère cependant le travail délicat des mètres rimes ; il en a dit les raisons dans un de ses romans, le Plaisir, et l’on voudrait citer tout entière cette page, hymne enthousiaste de l’artiste à l’outil dont il est amoureux.


Le vers est tout, le vers peut tout. Un vers parfait est absolu, immuable, immortel ; il retient en lui la parole avec la cohésion du diamant ; il enclôt la pensée dans un cercle précis que nulle force ne réussira à briser ; il devient indépendant de tout lien et de toute sujétion ; il n’appartient plus à l’artiste, mais il est à tous et à personne, comme l’espace, comme la lumière, comme les choses immanentes et perpétuelles. Une pensée exactement exprimée dans un vers parfait est une pensée qui existait déjà préformée dans les obscures profondeurs de la langue. Extraite du poète, elle continue à exister dans la conscience des hommes… Quand un poète approche