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a, dans ces dernières années, établi son autorité. Dans l’un comme dans l’autre de ces deux cas, un pays musulman, habité par des populations en majeure partie guerrières, a été conquis peu à peu, sinon à la civilisation, du moins à la domination européenne, par une puissance chrétienne. Au Turkestan comme en Algérie, à côté de l’obstacle résultant du fanatisme religieux, des conditions politiques, des différences ethniques entre vainqueurs et vaincus, la conquête et la pacification rencontraient les mêmes difficultés physiques : le climat, le manque d’eau, l’existence de vastes déserts. On conçoit donc combien il peut être intéressant pour la France d’étudier quels ont été les procédés de conquête, de colonisation et d’administration des Russes, afin de les comparer aux procédés qui ont été les siens dans le nord de l’Afrique. Voici plus de soixante ans que la France a commencé la conquête de l’Algérie et qu’elle en a assumé l’administration ; il y a trente ans que les Russes ont entrepris celle du Turkestan. Les moyens employés n’ont pas été les mêmes de part et d’autre ; les résultats obtenus sont comparables ; il n’est pas inutile de les rapprocher.


I. LES RACES

Sans entrer ici dans des détails ethnographiques par trop spéciaux, nous sommes forcé de donner, pour faciliter l’intelligence de ce qui va suivre, quelques indications sommaires sur les races humaines qui peuplent aujourd’hui le Turkestan.

Et d’abord, qu’est-ce que le Turkestan ? Le Turkestan, c’est, à proprement parler, — l’étymologie du mot l’indique, — le pays des Turcs. Et par Turcs il ne faut pas entendre les Turcs ottomans, les Turcs de Constantinople ou de l’Asie Mineure, lesquels ne sont qu’un rameau détaché par migration de la grande famille turco-mongole ou hunnique. Il ne faut pas entendre davantage les Turcs de l’Irak ou de la Syrie, descendans d’autres envahisseurs de même race, sortis du Turkestan pendant le moyen âge. Il faut entendre les Turcs qui sont restés chez eux, les Touraniens, comme dirait M. Richepin, les éternels ennemis de nos ancêtres les Aryens, s’il faut l’en croire, et s’il faut en croire aussi certains documens historiques encore assez vagues.

Le public parisien a été initié, voici quelques années seulement, par le livre des Blasphèmes, à l’existence de ces Touraniens errans, tueurs et insoucians, qui, au dire du poète, auraient