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une boîte à milliards comme celle-ci, bien que ses constructeurs se soient appliqués à la rendre presque incombustible, et qu’il y soit exercé une surveillance diurne et nocturne. Ici l’eau est accumulée partout en grandes masses, prête à jaillir à la première alerte des 53 cuves du sous-sol, ou à se précipiter en torrens, du haut des combles, dans lesquels sont rangés en enfilade des récipiens, toujours pleins, d’une contenance de 400 000 litres. Aux angles du plafond, dans les salles basses où s’alignent les coffres-forts loués au public, par fragmens grands ou petits, l’on aperçoit de larges trous béans par où l’inondation d’en haut viendrait noyer ces caves. Elle garantirait les richesses inconnues que renferment les compartimens privés, les espèces, valeurs, bijoux, papiers de famille, contrats ou titres de propriété, tout ce que cachait et enfouissait l’homme d’autrefois : — le châtelain dans son donjon ; le bourgeois à même le mur, derrière son lit ; le paysan dans la terre, au pied d’un arbre de la forêt, — tout ce dont l’homme d’aujourd’hui trouve plus commode et plus sûr de confier la garde à un organisme spécial et collectif. L’institution des coffres-forts est une de celles qui ont réussi le plus vite : le Comptoir d’Escompte, quoiqu’il agrandisse chaque année les locaux qui leur sont consacrés, suffit avec peine aux demandes ; le Crédit lyonnais, qui n’avait il y a dix ans que 400 locataires, en a présentement 8300.

Dans le même sous-sol, mais séparés par une succession de grilles qui ne s’entr’ouvrent que pour un petit nombre d’employés, sont les serres de la conservation des titres. Au lieu de loger leurs valeurs dans un des coffres dont ils ont la clef, beaucoup de gens se débarrassent de tous soucis en remettant ces valeurs elles-mêmes à l’établissement, qui détache et encaisse les coupons. Grâce à ce procédé, le propriétaire d’un portefeuille, prudemment morcelé, n’est plus tenu de consacrer des heures nombreuses à toucher des sommes minimes, devant des guichets multiples, à des échéances variées. Cette besogne de classement et de manipulation des titres est remplie presque exclusivement par des femmes. Elles s’en tirent de manière à confondre les détracteurs du travail de leur sexe, puisque les titres en dépôt, dont la valeur est de 2 milliards et demi environ, sont au nombre de 7 millions, et qu’ils se composent de 3 000 sortes de fonds d’Etat, actions, parts ou obligations diverses, appartenant à plus de 85 000 cliens.

Au rez-de-chaussée, au premier étage, sont installés des bureaux connus du public. Ce qui l’est moins, c’est une succession de vastes pièces, sises en haut du grand escalier de pierre, et affectées aux archives ; non pas aux archives de l’établissement, —