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Leur doyen est le Comptoir d’Escompte. Lorsque éclata la révolution de 1848, ce fut, parmi les banquiers de Paris, un désarroi général, la suppression absolue de tout crédit. Les simples recouvremens devenaient eux-mêmes impossibles. Les pétitions affluaient à l’Hôtel de Ville, siège du gouvernement provisoire, lui demandant de remédier à cette panique. Une intervention du même genre, en 1830, avait coûté à l’Etat près de 30 millions : c’était un précédent peu encourageant. Un décret fut pourtant rendu, autorisant la création, dans les principales villes, de comptoirs d’escompte dont le capital serait formé : un tiers en argent par les associés souscripteurs ; un tiers on obligations par les villes ; un tiers en bons du Trésor par l’État. Ces deux derniers tiers ne représentaient qu’une caution éventuelle, les ressources liquides devant être fournies par l’initiative privée. Le premier comptoir fut ainsi fondé à Paris, au capital de 20 millions de francs, dont 13 333 000 consistaient en une promesse de la Ville et de l’Etat de payer un jour cette somme, au cas où les 6 660 000 francs, effectivement versés par les actionnaires, viendraient à disparaître.

Aux heures difficiles du début il n’était d’ailleurs pas question de savoir si l’on perdrait ces 6 666 000 francs, mais d’abord si on les trouverait. Or on ne les trouvait pas. Dans cette capitale où l’on remue des milliards, il fut impossible, à cette heure troublée, de mettre la main sur six pauvres millions indispensables pour galvaniser le crédit en défaillance. Et nunc erudimini ! M. Pinard, futur directeur de l’institution, frappait à toutes les portes, courant Paris dans un fiacre, tout en avalant force laudanum pour calmer une indisposition qui l’aurait justement engagé à rester chez lui. On ne parvint pas à réunir plus de 1 587 000 francs ; encore avait-il fallu, pour atteindre cette somme, le concours de la chambre des notaires et de plusieurs sociétés de bienfaisance, qui sans doute pensaient ne jamais revoir la souscription qu’elles avaient aumônée.

Devant l’insuffisance de ce fonds de roulement, l’Etat, qui venait de constituer pour l’ensemble de la France une dotation de 68 millions, dite « du petit commerce », avança un million en espèces, et les opérations commencèrent. En douze jours, 30 000 effets à deux signatures, d’une valeur de 13 millions et demi, présentés par plus de 5 000 personnes, furent admis à l’escompte. Pour accroître leur capital social, les administrateurs du Comptoir levèrent des actionnaires comme le gouvernement levait des soldats. Par une sorte de conscription financière à laquelle leurs cliens durent se soumettre, une retenue de 5 pour 100 sur le montant