Page:Revue des Deux Mondes - 1895 - tome 127.djvu/134

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

« Monsieur X… nous remarquons que vous faites depuis plusieurs années de grandes affaires sur notre place… Nous sommes en mesure de vous offrir, pour l’escompte de vos traites, des conditions sensiblement plus avantageuses, croyons-nous, que celles de vos correspondans actuels, et nous nous mettons à votre disposition, si vous voulez bien entrer en relations avec nous, etc… » La missive émanait d’un employé d’un autre établissement de crédit, dont on ne pouvait que louer le zèle, bien qu’il ait été cette fois mal récompensé : le destinataire, ne comprenant pas un mot de français, envoya simplement à son fils cette lettre qui ne pouvait pas recevoir de réponse.

À voir le taux minime où est descendu l’escompte, sur le marché libre, on se demande pourquoi la Banque de France, à qui l’argent semble ne rien coûter, grâce à son privilège d’émission, maintient le prix de 2 et demi pour 100, et renonce aux nombreux effets qu’un abaissement plus ou moins notable de ce chiffre ferait entrer dans son portefeuille. Le motif en est simple : les établissemens de crédit sont des commerçans, libres de traiter à leur guise, à des conditions diverses, avec chacun des membres de leur clientèle. Ils ont un tarif qui varie suivant les effets et les localités. Ce tarif même, ils y dérogent quand bon leur semble. Ils prendront, comme la Banque d’Angleterre, des traites de valeur identique à des taux différens, selon la qualité des signatures. Il est vrai qu’ils escomptent des effets à destination des plus petites campagnes. Ces derniers, toujours plus onéreux, — 4 pour 100 au minimum, — forment ce qu’on appelle le papier « déplacé », c’est-à-dire non susceptible d’escompte à la Banque de France, parce qu’il est en dehors des 260 villes où existent des succursales, des bureaux auxiliaires, ou un simple rattachement. Les commissions sont en outre assez chères, puisqu’il faut s’entendre pour le recouvrement avec des huissiers du cru, dont les conditions semblent léonines, sans toutefois enrichir beaucoup ces officiers ministériels. Il en résulte qu’une société de crédit encaissera gratis, poulie compte de ses cliens, une traite de 1 000 francs sur Paris, Bordeaux ou Marseille, tandis qu’elle leur fera payer 1 franc 25 cent. pour un effet de 30 francs, sur Fontenay-aux-Roses.

La Banque de France, elle, est tenue de tout prendre à un prix uniforme sans distinction de signatures ni d’effets ; et, si les gros lui rapportent, les petits lui coûtent. Présenter une traite de 15 francs aux Batignolles ou aux Buttes-Chaumont est une mauvaise affaire. Ces coupures minuscules ne sont pas un mythe : à Paris seulement, l’an dernier, la Banque a encaissé 20 000 effets de 10 francs ou au-dessous et 931 000 effets de 11 à 50 francs.