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dans la qualité des signataires et dans le motif du tirage de la lettre de change. C’est là ce qui fait que les unes sont « saines », comme on dit, et que les autres ne le sont pas.

Sur le marché, le crédit d’une signature n’est nullement proportionné au chiffre de la fortune ou même au capital de la maison qui a émis ou accepté l’effet. Il y entre une grande part d’appréciation morale. Des traites au bas desquelles se trouvent les noms de Mallet ou d’Hottinguer sont bien plus haut cotées dans l’opinion que du papier émis par des banquiers beaucoup plus riches peut-être, mais moins anciens. Ces signatures de premier ordre n’abondent pas d’ailleurs sur la place : elles sont toujours plus demandées qu’offertes. Ainsi MM. de Rothschild frères sont de très petits cliens pour la Banque de France ; ils ne lui donnent que fort peu d’effets à l’escompte, et, si l’on ne trouve guère leur papier dans la circulation, c’est qu’ils le rachètent souvent eux-mêmes. Bien des grands financiers ou des sociétés importantes agissent de façon semblable, suivant leurs disponibilités.

En revanche, il est des noms tellement « mauvais », que leur présence sur une traite, comme tireurs ou comme endosseurs, suffit à la faire écarter de l’escompte par la Banque, lors même que, par une hypothèse invraisemblable, cette traite porterait l’acceptation d’une des meilleures maisons de Paris. Ce qui constitue en effet le papier sérieux, c’est la double responsabilité de deux personnes solvables ; dont l’une crée la lettre de change et dont l’autre s’engage à y faire honneur. La Banque de France exige une garantie supplémentaire, celle de l’endosseur, généralement un banquier. C’est là ce papier « à trois signatures » que les hommes du métier s’accordent à vouloir maintenir, à l’encontre de quelques imprudens qui ne songent pas qu’augmenter les risques de notre institution centrale ce serait amoindrir l’élasticité du crédit public.

Comme l’argent obtenu en faisant escompter des traites coûte beaucoup moins cher que celui des emprunts simples, bien des commerçans, parmi les plus honnêtes, n’hésiteraient pas à s’en procurer ainsi, d’une façon factice, par le « papier de circulation » à renouvellemens indéfinis, par des « tirages croisés » que deux maisons s’entendent pour effectuer mutuellement l’une sur l’autre, etc. Toutes ces combinaisons qui constituent le papier de complaisance, les sociétés de crédit s’appliquent à les découvrir et à les paralyser. Un service spécial est chez elles organisé à cet effet. Au Comptoir d’escompte, ce soin regarde un conseil immuable et traditionnel, dont les membres se succèdent parfois