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Lors du dernier emprunt d’un milliard, le Crédit lyonnais souscrivit personnellement au Trésor une somme de 300 millions de francs, qu’il venait de se procurer à la Banque par l’escompte de tous ses effets d’une échéance de quarante-cinq jours au plus. Le léger bénéfice que cette maison, après la répartition définitive, retira de sa souscription compensa à peine les frais, la perte d’intérêt de sommes improductives pendant plusieurs semaines ; mais son unique but était de manifester, par une fierté légitime, la solidité de son portefeuille.

Ainsi, quoiqu’elles lui fassent une redoutable concurrence, les banques de dépôt s’appuient sur la Banque de France, au point que toute l’économie de leur système dépend de l’existence de celle-ci. Chose curieuse, la Banque de France, en aïeule indulgente, préoccupée avant tout de l’intérêt public, voit ses jeunes rivaux d’un bon œil, et s’applique plutôt à faciliter leur œuvre qu’à l’entraver. On n’a pas à craindre que les bureaux de la rue de la Vrillière manquent de billets en cas de panique : ils sont toujours à cet égard abondamment nantis. Une loi, qu’une après-midi suffirait à voter si les circonstances l’exigeaient, leur permettrait de livrer au public un milliard et davantage. Au moment de la conversion récente de la rente 4 1/2 pour 100, bien qu’il semblât probable qu’aucun remboursement ne dût être demandé par les rentiers, le ministre des Finances voulut néanmoins prendre ses précautions. Il prévint le gouverneur de la Banque du besoin éventuel que pourrait avoir l’État de quelques centaines de millions. M. Burdeau parlait de 500 : M. Magnin lui conseilla d’en demander 800, et, quelques jours après, les 800 millions de billets étaient tirés et signés, prêts à sortir des caisses au premier appel. Ils y sont restés sans emploi, ou, s’ils ont pris leur vol, ç’a été pour les nécessités périodiques de la circulation, qui exige chaque année le renouvellement du tiers en moyenne des billets de banque. Mais ce petit fait montre que les établissemens de crédit n’auraient aucune peine à convertir en espèces leur portefeuille d’effets.

À une condition cependant : c’est que ces effets de commerce seraient eux-mêmes de bonne marchandise. Les législateurs naïfs qui songèrent à faire régler par les pouvoirs publics l’emploi des dépôts, et qui permettaient de les affecter à l’escompte du papier, n’avaient oublié qu’un point dans les minutieuses prescriptions projetées : c’est qu’il y a des traites de 10 000 francs qui valent 10 000 francs, et d’autres qui ne valent pas deux sous. Bien, dans leur tournure extérieure, ne distingue celles-ci de celles-là. Elles ont même physionomie, même allure ; la seule différence réside