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s’appliquent encore à maintenir dans l’ombre leurs divers mouvemens de capitaux, pour ne point exciter l’envie en cas de gain, et ne point provoquer de panique en cas de perte. Lors du vote par les Chambres de l’impôt sur les opérations de bourse, l’un des plus riches banquiers de Paris cessa immédiatement de recevoir les ordres de bourse, parce qu’il ne lui convenait pas de soumettre ses livres à la vérification du fisc.

Cette publicité, à laquelle ils sont voués par leur constitution, n’est pas sans porter parfois préjudice aux établissemens de crédit : ils en tirent pourtant grande force en ce que, manœuvrant sous les yeux de leurs actionnaires, de leurs cliens et de leurs rivaux, ils ont dû resserrer leur gestion et leur comptabilité, afin de ne pas donner prise aux critiques. A mesure qu’ils grandissent en effet, grossit le mécontentement des intermédiaires, qu’ils suppriment, et les intérêts menacés par leur marche se coalisent pour leur barrer la route. Un avantage encore de ces vastes usines où l’argent, manipulé sans cesse, entre et sort sans se reposer jamais, est de recueillir les parcelles de capitaux sans emploi pour les mettre à bas prix au service de ceux qui les font valoir. Par là leur action a été immense sur le loyer des fonds de roulement du commerce. Elles ne jouent pas d’autre part un moindre rôle dans ce que l’on peut nommer la colonisation pécuniaire. Leurs agences, qui se ramifient chaque jour, sont les postes avancés de l’argent français et par là même de l’influence française.

Les ressources sont de deux sortes : le capital souscrit par les actionnaires, les dépôts de fonds à vue ou à échéance fixe. Du premier, les directeurs peuvent disposer à leur guise, en spéculations multiples, seules susceptibles de procurer de gros bénéfices, mais capables aussi de causer de forts mécomptes. La plupart se bornent à consentir à leur clientèle, sur ces fonds sans emploi, des prêts qui s’élèvent, dans les quatre principales sociétés, à 450 millions environ. Ces sommes, aux yeux de la banque, ne sont pas immobilisées : elles permettent aux industriels de payer des marchandises qu’ils emmagasinent, à certaines époques de l’année, pour les écouler ensuite après les avoir plus ou moins transformées.

Nul compte ne doit rester perpétuellement débiteur ; autrement la société de crédit deviendrait le commanditaire de ses cliens, et c’est ce qu’elle redoute par-dessus tout. Ces « découverts », suivant le terme en usage, la maison de banque les accorde comme une récompense à ceux qui lui remettent une bonne quantité d’effets à l’escompte, parce qu’elle se contente souvent, sur des avances de plusieurs centaines de mille francs,