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ces principes ont des applications immédiates et pratiques, et le Pape les a mis en lumière dans la célèbre Encyclique du 15 mars 1891 sur la Condition des ouvriers :


La raison formelle de toute société est une et commune à tous ses membres, grands et petits. Les pauvres, au même titre que les riches, sont de par le droit naturel des citoyens, c’est-à-dire du nombre des parties vivantes dont se compose, par l’intermédiaire des familles, le corps entier de la nation, pour ne pas dire qu’en toutes les cités ils sont le grand nombre… Comme donc il serait déraisonnable de pourvoir à une classe de citoyens, et d’en négliger l’autre, il devient évident que l’autorité publique doit prendre les mesures voulues pour sauvegarder le salut et les intérêts de la classe ouvrière…

Pour ce qui est des intérêts physiques et corporels, l’autorité publique doit tout d’abord les sauvegarder, en arrachant les malheureux ouvriers aux mains de ces spéculateurs qui, ne faisant point de différence entre un homme et une machine, abusent sans mesure de leurs personnes pour satisfaire d’insatiables cupidités. Exiger une somme de travail qui, en émoussant toutes les facultés de l’âme, écrase le corps et en consume les forces jusqu’à l’épuisement, c’est une conduite que ne peuvent tolérer ni la justice ni l’humanité…

La violence des révolutions politiques a divisé le corps social en deux classes et creusé entre elles un abîme immense. D’une part, la toute-puissance dans l’opulence : une l’action qui, maîtresse absolue de l’industrie et du commerce, détourne le cours des richesses et en fait affluer en elle toutes les sources… de l’autre, la faiblesse dans l’indigence : une multitude, l’âme ulcérée, toujours prête au désordre. Que l’on stimule l’industrieuse activité du peuple par la perspective d’une participation à la propriété du sol, et l’on verra se combler peu à peu l’abîme qui sépare l’opulence de la misère, et s’opérer le rapprochement des deux classes.


Citons encore ce passage de la Lettre sur la Question ouvrière, à M. G. Decurtins, du 7 août 1893 :


S’il y a un motif grave et juste pour lequel l’autorité publique ait le droit d’intervenir pour protéger par des lois la faiblesse des ouvriers, on ne pourra pas assurément en trouver de plus grave et de plus juste que la nécessité de venir en aide à la faiblesse des enfans et des femmes.

Et d’autre part, il est évident pour tous combien serait imparfaite la protection donnée au travail des ouvriers si elle l’était par des lois différentes que chaque peuple élaborerait pour son compte, car les marchandises diverses venues de divers pays se rencontrant sur le même marché, certainement la réglementation imposée ici ou là au travail des ouvriers aurait cette conséquence que les produits de l’industrie d’une nation se développeraient au préjudice d’une autre.


Mais déjà sans doute, quand il écrivait cette dernière phrase, une idée encore plus hardie s’élaborait dans l’esprit de Léon XIII,