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décidément aucune dans ces nouveaux « mystiques » qu’on voit se délasser d’une traduction de Tauler ou de Ruysbröck en écrivant une pièce pour le Théâtre-Libre. Vingt ans plus tôt, je suis trop sûr qu’ils eussent été naturalistes, et leur mysticité n’est qu’une affaire de mode ou une « réclame » de librairie. Et je n’attribue pas enfin plus d’importance qu’elles n’en ont aux déclamations pieuses qu’on est surpris quelquefois de lire dans le Peuple français ou dans l’Autorité… Mais il n’en est pas moins vrai que l’évolution se produit, et, déjà, nous commençons d’en discerner quelques-uns des effets. Deux mots suffisent à les résumer : la Science a perdu son prestige ; et la Religion a reconquis une partie du sien.


II

« Toute réaction religieuse profitant d’abord au catholicisme, » c’est du moins Renan qui l’a dit, — il n’est pas étonnant qu’un Pape politique, s’inspirant le premier des nécessités de l’heure présente, ait conçu l’espérance et formé le projet de diriger le mouvement. C’était assurément son droit. Multæ sunt mansiones in domo patris mei : et il y a aussi plusieurs aspects, ou, pour ainsi parler, plusieurs faces du christianisme. Puisque jadis, en des temps étrangement confus, l’Eglise avait triomphé de cette espèce d’éruption de l’instinct et de cette révolte de la nature, qui fut sans doute l’un des caractères essentiels de la Renaissance, et qu’elle avait même arraché l’empire de l’art au paganisme du XVe siècle ; — puisque, cent cinquante ou deux cents ans plus tard, elle avait pu contre-balancer la redoutable influence du cartésianisme, en l’absorbant, et même en s’en aidant pour développer ce qu’il y de substance rationnelle dans son propre enseignement ; — et puisque enfin, au début du siècle où nous sommes, elle n’avait pas refusé de traiter avec la Révolution, et qu’elle l’avait pu, sans rien abandonner de ses droits ou céder de son dogme ; — pourquoi, dans un temps comme le nôtre, s’il y a dans sa tradition quelque vertu sociale, et qu’aucune considération de l’ordre temporel n’en gêne plus le libre développement, pourquoi n essaierait-elle pas de se présenter aux peuples sous ce nouvel aspect d’elle-même ? et pourquoi n’y réussirait-elle pas ? Evoluer n’est pas changer, a dit un ancien Père. Quod evolvitur… non ideo proprietate mutatur : c’est l’expression même de saint Vincent de Lérins. L’épanouissement des frondaisons de l’arbre n’est pas une « variation » du germe ; et ce n’est pas « changer », ce n’est pas devenir autre, que de développer le