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sans nul doute, pour les sauver, elle eut renoncé à les servir. Il eût fallu à ce moment la convaincre que, s’il y a médiocrement à espérer quand un souverain lutte contre le destin avec les restes d’une vigueur vieillie, le péril est plus redoutable encore quand une femme fait dans une tempête l’apprentissage du gouvernail. Il se trouva au contraire qu’un groupe de personnages considérables et officiellement désignés à sa confiance, avait un intérêt impérieux à encourager ces ambitions.

Sous le nom de conseil privé, l’empereur, depuis 1858, avait groupé et gardait à portée de sa main ses principaux hommes d’Etat. L’institution, prête d’avance, avait été en 1870, comme en 1859, mise au service de la régente. Cette assistance paraissait d’ailleurs devoir être non moins superflue à l’impératrice qu’elle l’avait été à l’empereur. Celui-ci aux jours où il avait créé le conseil privé, portait tout son conseil dans sa tête : il avait eu pour principal dessein de délaisser dans une retraite titrée et rentée les personnages fatigués ou dont lui-même était las ; et il les tenait quittes à la fois de leurs services et de leurs avis. Dans ces invalides du pouvoir, Persigny, Baroche, Vaillant, Magne, représentaient les différens âges de l’empire autoritaire ; Rouher, le dernier et non le moindre, y avait été admis à son tour quand l’avènement de l’empire libéral ne laissa plus de place dans la politique à l’avocat infatigable du pouvoir absolu. Et si aux temps de la dictature la pensée solitaire du maître ne se mettait guère sous la tutelle de ses serviteurs, le régime constitutionnel leur avait enlevé le dernier espoir d’exercer quelque influence. Les conseillers nécessaires et permanens du souverain étaient désormais les ministres responsables de sa politique devant les Chambres. Que la guerre eût été heureuse, l’impératrice n’eût pas songé à prendre avis hors de son cabinet et le cabinet ne l’eût pas souffert. Mais nos défaites, en brisant le crédit du ministère Ollivier, excitèrent dans l’impératrice le besoin de trouver ailleurs un appui et enlevèrent à M. Ollivier la force de s’y opposer. En convoquant le conseil de régence elle rendit à ces ombres l’espoir de revivre, et ce n’étaient pas seulement leurs personnes, c’était un système de gouvernement qu’il s’agissait pour eux de ressusciter.

Représentans de l’empire autoritaire, ils n’avaient plus confiance dans l’empereur qui les avait sacrifiés à l’aventure libérale et qui la poursuivrait, sans nul doute, le jour où il reprendrait le pouvoir. Ils se sentaient de bien autres prises sur une femme qu’ils savaient amoureuse d’autorité et effrayée de la révolution. Un puissant intérêt les sollicitait donc de prolonger, en