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divine, — ne descend-il pas de la déesse Seket? — qu’on le retrouve partout accueilli, choyé et adoré, hôte doux et modeste, s’il n’est pas toujours discret, aimable et fidèle, dans la plus humble demeure comme sous les lambris dorés, dans les salons comme dans les boudoirs les plus parfumés, et jusque dans la plus grave des Académies où il a eu les honneurs de plusieurs séances sans qu’elle ait découvert encore comment il retombe sur ses pattes. Peut-être l’Académie n’avait-elle pas vu le livre de Mlle Ronner[1], car elle eût alors pu se passer de toute explication scientifique pour comprendre ce miracle d’équilibre qu’a résolu l’artiste dans des peintures ou dessins d’une facture précise et sobre, après mille observations faites dans son atelier et sur des sujets d’une diversité peu commune de manières et d’attitudes, comme leurs maîtresses sans doute. Assurément ses chats sont des chats de luxe, d’une exquise morbidezza, qu’elle place, chacun avec sa physionomie particulière nettement caractérisée et d’une originalité piquante, dans des intérieurs riches qui expliquent et justifient, à n’en pas douter, la beauté, la grâce et l’esprit de leurs formes. On sait d’ailleurs le succès obtenu à l’Exposition des peintres hollandais comme au Champ-de-Mars par Mlle Henriette Ronner, dont la première série de compositions, présentée par M. Henry Havard, fut si appréciée qu’elle fut rapidement épuisée. Cette nouvelle œuvre retrouvera la même vogue, car elle est rendue avec la perfection accoutumée que met à ses reproductions la maison Boussod et Valadon, et le commentaire spirituel et amusant de M. Marins Vachon complète cette esquisse naturelle et sociale des chats. Il suit le chat à travers les âges. Il assure qu’n n’est pas d’animal de la création qui pourrait s’enorgueillir d’avoir inspiré tant d’hommes illustres et occupé une si haute situation dans la civilisation moderne, du pharaon à M. Taine, dont on ne peut avoir oublié les fameux sonnets :


Trente siècles durant du haut de ses pylônes
Le Chat vit à ses pieds la majesté des trônes
Et le front prosterné du Pharaon vainqueur.


Le chat a joué et joue en outre un rôle considérable dans l’inspiration de tous les poètes et romanciers ; dans le Roman de Renart, où cinq livres sont consacrés aux démêlés tragico-comiques de « Tybert le Chaz », dans les dictons populaires du temps de saint Louis, dans les proverbes, inspirant autant de poètes que de peintres : Ronsard dans une épltre à Remy Belleau, Rabelais avec ses Rondibilis et ses majestueux Grippeminauds, Perrault et La Fontaine, Beaudelaire et Théophile Gautier; enfin Fragonard, Greuze, Téniers, Metzu, Dov, Jordaens, et jusqu’à MM. Lançon et Lambert. Il inspire également romancier et poètes dans la Maison du Chat qui pelote et au Chat Noir. Il n’y a qu’à

  1. Les Chats. — Esquisse naturelle et sociale, tableaux et dessins d’Henriette Ronner, 1 vol. gr. in-4o; Boussod et Valadon.