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parmi les hommes. Il a pu juger de l’effet de leurs convoitises. Mieux que beaucoup d’autres il a été à même de mesurer le danger que créent à la société ceux qui ne poursuivent que la satisfaction de leurs instincts et ne demandent à la vie que des sensations fortes et l’intensité des jouissances. C’est pour cette raison que nous avons cru pouvoir posera propos de l’un de ses ouvrages le problème qui nous occupe. Aux dernières pages de son livre nous lisons ces lignes qui en sont comme la conclusion : il y est parlé du caractère individualiste de l’art de Wagner : « Mais toi, qu’as-tu vu sur la prairie, regard de Gundry ? Des fleurs sauvages, des simples et qui suivent la nature. Dans cette prairie nous ne voyons ni l’olivier mystique des religions, ni l’olivier des légistes, le symbole de Minerve; ni une cité ni un Dieu qui nous imposent leurs lois. Gundry n’écoute que son instinct... Cette prairie où rien ne pousse qui soit de culture humaine, c’est la table rase des philosophes. Wagner rejette tous les vêtemens, toutes les formules dont l’homme civilisé est recouvert, alourdi, déformé. Il réclame le bel être humain primitif en qui la vie était une sève puissante... Le philosophe de Bayreuth glorifie l’impulsion naturelle[1]. » Voilà justement ce qui nous inquiète et telle est la question que nous adressons à M. Barrès. L’homme ne vit ni de musique, ni même de Littérature. Idées artistiques et théories littéraires se résolvent en actes dans la vie sociale et s’y traduisent par des faits. Nous demandons ce qu’on peut attendre d’une société qui serait fondée sur le triomphe de l’impulsion naturelle et sur la glorification de l’énergie.


RENE DOUMIC.

  1. Barrès, De la volupté, etc., p. 320.