L’homme de pensée, dont toute l’activité est remontée dans la tête, au lieu de mépriser la brute inintelligente, envie le mâle aux muscles roides et aux reins solides.
Que vaut donc cette notion de l’énergie ? et mérite-t-elle qu’on fasse en son honneur une si belle dépense d’enthousiasme ? Est-il vrai d’abord qu’elle offre pour l’expression artistique des ressources merveilleuses ? Il faut bien que nous nous placions à ce point de vue : car sans doute on ne manquerait pas d’invoquer les droits imprescriptibles et la souveraineté de l’art. On prétend que l’état violent des mœurs est une condition favorable pour le développement des arts ; on cite un exemple qui est celui de la Renaissance italienne. On en citerait dix autres qui prouveraient exactement le contraire, l’art et la Littérature ne faisant leur apparition dans les sociétés que lorsque la vie intellectuelle y est devenue possible par la diminution de la brutalité, et les plus belles époques du génie humain étant des époques de paix et de recueillement. D’une rencontre accidentelle on ne saurait tirer une conclusion générale. Encore et dans le cas particulier de la Renaissance est-il permis de mettre en doute que l’effervescence des passions y ait été la cause du progrès des arts. C’est à la biographie de Benvenuto Cellini qu’on emprunte les traits les plus caractéristiques et les anecdotes les plus pittoresques. Mais on néglige de nous montrer l’exacte relation qui relierait le brigandage de ses mœurs avec la perfection de ses œuvres. Parce qu’on a montré que cet orfèvre avait le poignard alerte et l’escopette facile, on n’a pas expliqué par là pourquoi il maniait le ciseau avec tant d’habileté. Aussi bien l’art de Benvenuto n’est pas tout l’art de la Renaissance. Et il reste à montrer d’où sont venues à Raphaël tant de sérénité, à Michel-Ange tant de noblesse, à Corrège tant de mollesse, à Léonard une si large humanité.
Dans le théâtre de Shakspeare, nous voyons bien tout ce qu’il reste de sauvagerie et de grossièreté. C’est par là qu’il ressemble à ses prédécesseurs et à ses contemporains, à Marlowe et à Ben Jonson — ou à l’auteur de cette Annabella dont on essayait ces jours derniers de nous faire goûter le tragique exaspéré. Meurtres, trahisons, trivialités et bestialités, l’éclaboussement des injures et l’éclaboussement du sang, cela est pareil de son théâtre à leur théâtre. Mais aussi n’est-ce pas pour ce qu’il a de commun avec les écrivains de son temps, c’est pour ce qu’il a de différent, que Shakespeare a mérité d’être placé au-dessus d’eux et qu’il a continué de vivre à mesure qu’ils s’enfonçaient dans l’oubli. À la représentation toute nue de l’instinct il a substitué l’étude de la passion : ç’a été chez lui le coup de génie. Chez l’être d’instinct l’activité n’est que la brusque détente du ressort. Le geste suit aussitôt la pensée. Il n’y a pas d’intervalle entre la première colère et la résolution finale. Mais cet intervalle où la réflexion, la crainte, l’idée du bien, trouvent leur place, c’est justement ce qui importe, et c’est