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propre, plus indépendante pour chacun des membres d’une famille, plus hygiénique aussi. De haut l’exemple se répand dans toutes les couches sociales. La maison devient le centre des efforts d’embellissement de l’homme. Certaines mauvaises habitudes et certains vices y perdent ; chacun est d’avis que le jour où l’ouvrier aura un logement suffisamment ample, diversifié et paré, la vie de famille le retiendra davantage et le cabaret perdra de ses attraits. A la campagne aussi et chez le paysan, la maison cesse d’être une hutte à ras de terre, au sol battu et à une ou deux fenêtres.

Le luxe moderne, du moins celui qui n’est pas dépravé, consiste surtout en objets durables : bijoux, mobilier, objets d’art, collections ; c’est ce que l’on appelle parfois les capitaux de jouissance. Il est très supérieur au luxe qui se répand en objets passagers. Temple, au XVIIe siècle, faisait remarquer que le luxe hollandais offrait les traits que nous venons de décrire : il porte au développement des arts : qui n’admire ces riantes maisons d’Amsterdam, aux proportions commodes et modestes, embellies de tous ces chefs-d’œuvre des peintres de genre, d’animaux ou de paysages, ces élégantes maisons de campagne, sans ostentation, avec leurs cultures perfectionnées de fruits et de fleurs, que gâta seulement un instant l’agiotage sur les tulipes ?

S’il se porte avec amour sur la construction, l’aménagement, la décoration de la demeure, le luxe des peuples industriels et florissans est plus sobre pour le vêtement. Un de ses caractères, c’est d’être compatible avec l’égalité civile, la fraternité des rapports sociaux, de ne les choquer en rien. La toilette des hommes en témoigne. On ne voit plus d’hommes qui, suivant le mot de Henri IV, « portent leurs moulins et leurs bois de haute futaie sur le dos. » Les dentelles, comme manchettes et jabots, autrefois habituelles à la simple bourgeoisie, sont depuis longtemps abandonnées par les hommes, sans espoir de retour. Que, dans une réunion, on considère 200 ou 300 hommes assemblés, des couches les plus élevées jusqu’aux plus modestes de celles où l’on trouve une certaine éducation, il sera impossible à la simple inspection de leur extérieur de découvrir lesquels sont riches.

Il n’en est pas ainsi pour les femmes, il est vrai ; mais il n’est nullement prouvé que la plupart de celles qui ont de la richesse dépensent plus aujourd’hui en toilette que ne le faisaient celles de même situation de fortune pendant les trois ou quatre derniers siècles. On se lamente de ce que les femmes de chambre veulent être vêtues comme leurs maîtresses, les servantes de campagne comme les fermières, celles-ci comme les femmes de bons propriétaires. Il peut y avoir de l’exagération chez certaines ; cependant