dans une oasis, et, sous un parasol délicieusement brodé, un des plus mois oreillers du monde, » et le paysage tourmenté où l’Escurial réalise en granit « l’état d’âme imposé au génie castillan par la notion catholique de la mort. » M. Barres à vrai dire ne décrit pas. Il se contente de marquer le trait significatif. Il est par là dans la meilleure tradition française. Chez lui la phrase, qui emprunte à la langue de ce siècle quelques-unes de ses ressources de pittoresque, reste brève comme chez les écrivains du siècle dernier. C’est par la sécheresse même du contour qu’elle atteint à l’intensité du relief.
L’Espagne est le pays d’élection de M. Barrès. Il la célèbre avec une belle ferveur d’enthousiasme. Ce qu’il aime en elle c’est précisément la sorte de la sensibilité qu’elle révèle et où par suite elle nous incline. Et ce qu’il goûte dans les sentimens ou dans les sensations qui naissent du sol d’Espagne, c’est leur violence. Ici tout est fait pour exciter les nerfs, réveiller l’âme assoupie, rendre au tempérament sa vigueur. La nature est toute en contrastes : sécheresse au nord, au midi sensualité : « opposition aussi efficace comme excitant moral qu’en thérapeutique les douches à jets alternés, brûlans et glacés. » L’histoire, les arts, la Littérature, les mœurs, témoignent de cette exaspération de tout l’être. Chez les écrivains et chez les peintres ce sont les mêmes imaginations horribles et les mêmes tableaux sanglans. Aujourd’hui, en dépit de l’adoucissement des mœurs et malgré l’usure du temps, ce qui reste caractéristique de la sensibilité espagnole, c’est le cri que jette au ciel chaque petite ville assemblée dans son cirque quand tombe le taureau. Nulle part ailleurs il n’a été donné à l’homme de vivre une plus violente vie nerveuse. L’Espagne offre encore, pour rompre l’universelle atonie de la sensibilité moderne, des ressources qu’on ne trouve que là. « Comme acculées à la pointe de notre continent, dans la péninsule grouillent, fermentent et se mélangent des sensations qui peu à peu ont été chassées des autres pays... L’Espagne est le pays le plus effréné du monde, un pays pour sauvage qui ne sait rien ou pour philosophe qui de tout est blasé sauf d’énergie... » — Sous cette forme, à travers ces déclarations et dans ces dithyrambes, M. Barrès reprend à son tour un thème fréquemment exploité par les écrivains de ce siècle : c’est le goût pour l’activité emportée, pour la sensibilité exaspérée, pour l’humanité débridée, l’admiration de la force définie par la violence, la glorification de l’énergie.
La théorie remonte à Stendhal. Elle est dans l’œuvre de celui-ci ce qu’il y a de plus profond. Et elle est chez l’écrivain le résultat de sa nature, de son tour d’esprit, du milieu où il a vécu et des influences qu’il a subies. Henri Beyle est sanguin avec un fond de grossièreté dans le tempérament; guidé par ses instincts dans le choix de ses théories, il adopte le point de vue des philosophes de son temps, qui ramènent tout à la sensation ; témoin et acteur dans les drames de l’époque impériale,