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choisis ; l’Université ne sera plus sa seule patrie « où il voudra vivre et mourir ». Ce sera un homme de lutte que l’évolution de sa pensée éloigne toujours plus du christianisme et de l’ancienne France, qui se retourne violemment contre ce passé qu’il a lui-même ressuscité, et qui menace maintenant de barrer sa route vers l’avenir. Il se mêlera à la foule; il pensera et parlera pour elle, non pas sans doute avec des idées entièrement nouvelles, mais avec un accent nouveau. C’est à la foule qu’il jettera ses paroles brûlantes, comme aux jours de Juillet où il criait aux combattans des barricades : « Faites l’histoire, nous l’écrirons. » Ce nouveau Michelet, à l’âme embrasée et tumultueuse, créera des œuvres merveilleuses de poésie, de vie et de passion ; mais l’heure du juste équilibre entre la science et l’imagination, entre la fougue et la réflexion, entre la philosophie et l’histoire, sera passée le jour où la porte de l’École normale se sera refermée derrière lui. En quittant cet auditoire studieux et clairvoyant dont l’amitié enthousiaste lui avait révélé son génie, tout en maintenant dans de prudentes limites ce qu’il avait d’aventureux, et devant lequel les entraînemens de l’orateur étaient toujours contenus par la responsabilité de l’éducateur, il avait privé l’École normale d’un maître tel qu’elle n’en devait jamais revoir; mais il avait aussi perdu quelque chose. L’Histoire romaine et l’Histoire de France au moyen âge restent, parmi les œuvres de Michelet, les plus solides au point de vue de la science et les plus parfaites au point de vue de l’art. C’est au professeur de l’École normale que nous les devons.


G. MONOD.