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et imprévue à ce cours, c’était l’appel constant que faisait le psychologue aux souvenirs de l’historien, et l’apparition de Tibère ou de Néron, des chevaliers du XIVe siècle ou des souliers à la poulaine, au milieu de l’analyse des facultés. Michelet commençait par établir la différence des sciences physiques et des sciences philosophiques, puis montrait la supériorité des méthodes d’observation en psychologie sur leur emploi dans les sciences physiques. Il passait ensuite en revue les facultés de l’âme, critiquant les systèmes de Laromiguière, des Écossais et de Kant ; il insistait sur la nécessité de considérer les facultés non isolément, mais dans leur enchaînement et leur réaction mutuelle. Il étudiait alors successivement la conscience, la perception, l’abstraction, la généralisation, la mémoire, l’association des idées, l’imagination, le raisonnement, l’induction, la méthode, les signes, les classifications et le langage. S’il prenait comme point de départ la théorie des facultés de Dugald-Stewart et la théorie des signes de De Gérando, il y mêlait beaucoup de vues personnelles, surtout dans les chapitres sur l’association des idées et l’imagination, ainsi que les applications historiques les plus inattendues. L’examen de l’influence des lumières sur la moralité lui suggérait un brillant développement sur la supériorité morale de la société romaine sous l’Empire comparée à celle de la République ou de la Grèce. « La Rome toute sanguinaire et barbare des Scipions est inférieure à la Rome, voluptueuse peut-être, mais humanisée, des Césars. La loi civile qui régnait alors atteste le progrès de l’humanité. » À propos de l’association des idées, il parlait de la mode au XIVe siècle, pendant la Révolution et sous la Restauration. Il présentait les observations les plus ingénieuses sur l’histoire des arts, des lettres et des langues. En parlant de la perception, il faisait observer que les hommes ont fait dériver la connaissance, d’abord du monde extérieur, puis des dieux, enfin de la conscience et du moi, et que Kant et Fichte ont donné la philosophie de la Révolution française, qui est le triomphe de la croyance à la liberté de l’homme. De même, quand il traitait des idées générales, il montrait ces idées placées par les philosophes d’abord en Dieu, puis dans les choses, enfin dans l’homme.

Le rôle de l’homme, le rôle de la liberté humaine, c’est à cette idée que sa pensée revient toujours invinciblement. C’est cette idée qui dirigera toutes les recherches de l’historien, comme c’est à elle qu’aboutissent les analyses du psychologue. On peut déjà entrevoir que la France lui apparaîtra comme la principale représentante de la liberté morale, et que deux époques l’attireront entre toutes comme celles où sont jouées les scènes décisives