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enseignemens comme étroitement liés et sa première leçon fut une introduction générale aux deux cours. « Jusqu’ici, disait-il en commençant, la philosophie et l’histoire ont été l’objet de deux études entièrement distinctes. Cependant elles sont la preuve l’une de l’autre ; elles ne peuvent ni l’une ni l’autre prétendre à un haut degré de certitude si on ne les compare. La philosophie s’est bornée à des phénomènes bien fugitifs de la pensée individuelle. Si elle s’était assise sur la base plus large de l’espèce et de l’individu, elle aurait fait plus de progrès, et la plupart des faux systèmes n’auraient pas réussi. Nous allons embrasser dans une seule étude l’histoire et la philosophie. Ainsi unies par une heureuse alliance, elles se prêteront un mutuel secours. » L’histoire étudiera les faits, la philosophie les lois; l’histoire, l’homme collectif; la philosophie, l’homme individuel. La psychologie de l’individu trouvera sa confirmation dans celle de l’espèce; car l’humanité comme l’individu passe de la spontanéité à la réflexion, de l’instinct à la raison, de la fatalité à la liberté. Le développement religieux de l’humanité est la confirmation des conclusions spiritualistes de la philosophie.

Les deux premiers cours d’histoire de Michelet traitèrent de l’histoire générale, depuis l’Egypte jusqu’aux croisades. Il commença par l’Orient, faisant de l’histoire orientale la préface de l’histoire de la Grèce et de Rome. Il montra l’humanité se dégageant peu à peu des fatalités de la nature pour prendre conscience d’elle-même; il insista sur l’histoire des juifs parce que leur religion est une préparation au christianisme, et salua dans le triomphe des idées chrétiennes le triomphe définitif de la liberté sur la fatalité, de l’homme sur la nature. En 1828-1829 il s’occupa plus spécialement de la France et du moyen âge et s’étendit avec complaisance sur les origines celtiques. Dans ces cours, comme plus tard dans son histoire de France, il fait une large place à la géographie, qu’il s’agisse de l’Asie, de la Grèce ou de l’Italie. La géographie est pour lui « le matérialisme de l’histoire. » Il montre « au milieu de quelles circonstances physiologiques, physiques, botaniques, zoologiques, minéralogiques » s’est développé l’être humain, l’être moral, « le spiritualisme de l’histoire. »

Son cours de philosophie fut presque exclusivement un cours de psychologie. Le fond ou du moins le plan en était emprunté aux philosophes de l’École écossaise, mais il les contredisait souvent et les complétait par Kant et Schelling; « les premiers, disait-il, nous donnent le point de départ, le bon sens; les seconds y ajoutent la science. » Ce qui prenait une originalité charmante