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avec M. Mazure, un ancien censeur, intime ami de Mgr Frayssinous. Il s’était fait baptiser en 1816 ; il faisait partie de la Société catholique des bons livres, créée en 1824; enfin il était patronné par l’abbé Nicole. L’influence de l’abbé était prépondérante au Conseil royal ; elle était puissante aussi au Château, où il avait une amie dévouée en Mme de Gontaut, gouvernante des enfans de France. Il est probable que c’est principalement à l’abbé Nicole que Michelet dut d’être nommé à l’école préparatoire et désigné pour enseigner l’histoire à la princesse Louise.

Faut-il croire d’après cela que Michelet fût alors, comme on l’a dit quelquefois, un catholique croyant? Faut-il admettre comme authentique l’anecdote rapportée par M. d’Haussonville[1], d’après laquelle M. de Vatimesnil aurait dit aux personnes qu’effrayait la nomination de Guigniaut comme directeur de l’Ecole : « Rassurez-vous, nous avons M. Michelet dont l’influence combattra la sienne? » — Je ne le pense pas. M. Guigniaut n’a jamais effrayé personne, et Michelet, tout en se croyant et en se déclarant chrétien, ne faisait ni ne disait rien qui pût le faire passer pour un dévot. Son Journal intime nous le montre en 1820 et 1821 tout imbu de l’esprit du XVIIIe siècle et de la Révolution, humanitaire à la façon de Rousseau, démocrate et libéral avec passion, et aussi détaché des dogmes que le Vicaire savoyard. Il était, il est vrai, ardemment spiritualiste et il le restera, toujours, convaincu à ce point de l’indestructibilité du moi qu’à ses yeux l’existence de Dieu était comme le corollaire de la croyance en l’immortalité de l’âme; il était religieux, mystique même, de nature et d’instinct; il avait pour l’Église catholique la piété filiale due à « la vieille mère du monde moderne » ; mais cette piété était déjà, en 1827, une piété d’historien ; il vénérait et admirait le christianisme comme la religion qui a libéré l’homme des servitudes de la matière, comme la dernière et la plus haute évolution religieuse de l’humanité ; mais, s’il le regardait alors comme la religion définitive et éternelle, il admettait qu’il devait se transformer sous l’effort de la science. Il suffit de se rappeler que ses mémoires sur Luther étaient commencés dès 1825 et dans quel esprit il les a conçus, pour ne pas voir en lui un catholique au sens strict. Les notes prises à ses cours par ses élèves[2] nous montrent qu’il n’a jamais cherché à

  1. Revue des Deux Mondes, 1er juillet 1875. On ne saurait reprocher à l’auteur de cette fine et consciencieuse étude de nous avoir représenté Michelet, de 1820 à 1840 comme plus royaliste et plus catholique qu’il n’était. Avant la publication du Journal de sa jeunesse et des documens que nous faisons connaître aujourd’hui, il était difficile de se faire une idée juste de l’évolution de ses idées
  2. Mme Michelet a bien voulu nous les communiquer. Qu’elle reçoive ici l’expression de notre gratitude. C’est grâce à ces notes que nous avons pu reconstituer tout l’enseignement de Michelet.