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est achevée en 1826 et paraît en mars 1827, précédée d’un discours préliminaire. Cette traduction de Vico exerça sur sa pensée une influence décisive. « Je suis né, dira-t-il, de Virgile et de Vico. » Le caractère symbolique des faits historiques, l’enchaînement régulier des phases du développement humain, avec leurs flux et leurs reflux, leurs corsi et ricorsi, l’importance de l’action des masses anonymes dont les grands hommes ne sont que les représentans accidentels, symboles d’une collectivité comme les faits particuliers sont les symboles d’une idée générale, le rôle capital des traditions poétiques à l’aurore des civilisations, et des recherches étymologiques pour l’étude des origines, toutes ces idées qui animeront son œuvre entière, se sont fixées dans son esprit par l’étude de Vico. Il y ajoute une vue personnelle qui modifie sensiblement le déterminisme idéaliste et religieux de Vico, c’est la conception de l’histoire comme une lutte entre l’homme et la nature, entre la liberté et la fatalité, entre la lettre et l’esprit, comme une ascension constante et providentielle vers l’autonomie morale. Dans le bouillonnement intellectuel qui l’agite pendant ces années de préparation féconde, on voit naître dans son cerveau des projets que son âge mûr réalisera en partie : en 1825, il trace le plan d’une Philosophie de Thucydide et d’une Philosophie d’Eschyle, puis d’une Étude religieuse des sciences naturelles. En 1826 il commence à préparer une histoire de la Réforme et de la Ligue ; il rêve d’écrire une géographie historique et de former un recueil des Monumens historiques du christianisme.

Bien que ni le Vico ni le Précis d’histoire moderne n’eussent encore paru quand Michelet fut appelé à l’école préparatoire[1], ceux qui le connaissaient savaient qu’il ne serait déplacé dans aucune des deux chaires qu’on lui confiait. En le choisissant on évitait d’assez gros embarras. L’école de Laromiguière, qui était seule bien vue de l’administration supérieure, était discréditée auprès de la jeunesse, tandis que M. Cousin et ses disciples passaient pour des révolutionnaires. Michelet tenait le milieu entre les deux partis, et ses préoccupations, en apparence exclusivement psychologiques et historiques, le faisaient regarder comme inoffensif. D’ailleurs, s’il était en relations personnelles avec Villemain, Guizot et Cousin, il était considéré comme bienpensant.il était lié avec Ballanche, avec Lamartine, avec des membres du Conseil royal connus pour leur piété, MM. Guéneau de Mussy et de Maussion,

  1. La mémoire de Michelet l’a donc trahi, quand il a dit, dans la préface de l’Histoire de France de 1869 en parlant de sa nomination : « Mon Vico, le Précis d’histoire moderne, paraissaient des titres suffisans. »