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POÉSIE

LES NOSTALGIQUES[1].


DEPART


L’automne, avec ses doigts miraculeux de fée,
Vient en deux jours de mettre une robe étoffée
De velours fauve et d’or à la verte forêt.
Et pour le cœur qu’isole un tendre et cher secret
Elle tisse au ciel froid des dentelles de brume ;
Mais moi, mon cœur est trop inondé d’amertume
Pour que tant de langueur ne me fasse pas mal.
Je te redoute trop, puissant charme automnal.
Et vous, spectres muets des anciennes années
Qui vous réjouissez sous les feuilles fanées.
J’ai peur des fins bouleaux dont le blondissement
Dans la pourpre du soir frémit si tristement,
Peur des suprêmes fleurs dans les blanches prairies,
Peur surtout de moi-même et de mes rêveries,
Et je fuis, et demain ce novembre du Nord,
— Novembre d’un passé qui pour toujours est mort —,
Ne me tentera plus de sa mélancolie.
Le ciel de la Provence et celui d’Italie,
Où l’automne et l’hiver sont bleus comme l’été
Enivreront mes yeux de leur pure clarté.
Un peu de l’âme antique erre encor sur ces grèves,

  1. Nous empruntons aux Nostalgiques, dont M. Paul Bourget prépare en ce moment la publication prochaine, le groupe de poèmes qui se rattachent à la partie intitulée : Hélène.