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des âmes, de voir tous les chrétiens s’unir sous un même chef, vicaire de Jésus-Christ, encore faut-il chercher les moyens pratiques pour y arriver en dépit de nombreux obstacles.

Ce qu’il faut avant tout sauvegarder pour unir à Rome les Eglises des rites orientaux, c’est leur autonomie. Dès l’origine, nous l’avons dit, les patriarcats orientaux ont joui de cette autonomie, et Rome est fermement résolue à leur maintenir ce privilège. Jamais le souverain-pontife ne songerait à les administrer comme il l’a fait pour l’Occident dès les origines de l’Église. Le Saint-Siège, les documens le prouvent, est disposé à accentuer le régime des privilèges pour les Églises orientales. Toutes celles qui reviendront à l’unité seront maintenues dans leurs rites, leur hiérarchie, leurs usages séculaires. On ne leur demandera que de reconnaître le suprême magistère de celui à qui Jésus-Christ a dit : « Pais mes brebis ! »

Quant aux églises orientales déjà unies, il en est de même. Rome leur laisse non seulement leurs rites et leurs usages, mais la libre élection de leurs évêques et de leur patriarche. Celui-ci seul est confirmé par le souverain-pontife, et par lui tous les autres évêques sont rattachés au siège de Pierre. C’est là un principe duquel ne se départira pas le saint-siège dans l’avenir.

En ce qui concerne la Russie, sur quelles bases pourrait donc se faire l’union ?

La Russie n’a plus de patriarche. Dans la situation actuelle, il y aurait lieu à traiter soit pour le rétablissement d’un patriarche de Moscou, confirmé par le saint-siège, soit pour la reconnaissance par le saint-siège apostolique du gouvernement synodal de l’Eglise russe, ce qui n’offrirait point de difficulté radicale. Ce dernier système serait peut-être même le plus pratique, parce qu’il permettrait de ne rien changer à la situation actuelle. Au lieu du droit de confirmation du patriarche, le Saint-Siège pourrait alors se réserver la confirmation des membres du saint-synode présentés par l’empereur. Le synode serait ainsi mis en communion avec le siège apostolique, et cela suffirait pour rattacher à celui-ci tous les sièges épiscopaux relevant du saint-synode. L’unité serait reconstituée.

On objectera peut-être que le gouvernement russe n’accepterait pas de marcher dans cette voie qui aurait pour effet le plus immédiat de donner une plus grande liberté à l’Eglise russe. Mais le gouvernement n’est point contraire, en principe, à la liberté de l’Église russe. Le procureur du saint-synode, M. Pobedonostzeff, ne déclarait-il pas naguère dans les journaux que l’église russe n’est pas asservie à l’État ? Et il est vrai qu’en droit, elle ne l’est pas.