ou l’observation, — plus capables de se passer eux-mêmes de divertissement, ils s’adressent à des lecteurs qui ont moins besoin que nous d’être amusés. Les longues et grises conversations d’Ibsen, ses infatigables accumulations de détails familiers, d’abord nous accablent, mais peu à peu nous enveloppent. Cela finit par former, autour de chacun de ses drames, une atmosphère qui lui est propre, et dont l’air de vérité des personnages est augmenté. Nous les voyons vivre d’une vie lente et profonde. Ils sont très sérieux. Ils offrent cette particularité, que les incidens de leur vie les remuent jusqu’au fond de l’âme et nous révèlent ce fond ; que leurs drames de foyer se tournent tous en drames de conscience, où toute leur vie spirituelle est intéressée. Là, une femme qui s’aperçoit que son mari ne la comprend pas ou que son fils est atteint d’une maladie incurable, se demande instantanément si Martin Luther n’a pas été trop timide, si c’est le paganisme ou le christianisme qui a raison, et si toutes nos lois ne reposent pas sur l’hypocrisie et le mensonge. Peut-être l’auteur oublie-t-il trop que ces questions, passionnantes quand on les voit débattre par un grand philosophe ou par un grand poète, ne peuvent recevoir, d’une petite bourgeoise ou d’un honnête clergyman qu’une solution médiocre ; et peut-être nous surfait-il l’inquiétude métaphysique de l’humanité moyenne et son aptitude à philosopher. Toutefois, comme c’est, en réalité, sa propre pensée qu’il nous traduit, on y peut prendre un vif intérêt.
Une des idées qui dominent les romans de George Eliot, c’est l’idée de la responsabilité, entendue avec la plus pénétrante rigueur; l’idée qu’il n’y a pas d’action indifférente ou inoffensive, pas une qui n’ait des suites et des retentissemens à l’infini, soit en dehors de nous, soit en nous, et qu’ainsi l’on est toujours plus responsable, ou responsable de plus de choses, qu’on ne croit. « Nos actions agissent sur nous autant que nous agissons sur elles. Il y a souvent dans nos actions une terrible contrainte, qui peut, d’abord, changer un honnête homme en trompeur, et ensuite le réconcilier avec ce changement, pour la raison qu’une seconde faute se présente comme la seule chose qui soit bonne à faire. » (Adam Bede.) La conséquence, c’est une surveillance morale de tous les instans exercée par les personnages sur eux-mêmes, ou par l’auteur sur ses personnages. La plupart ont la notion du péché, une vie intérieure au moins aussi développée que leur vie de relations sociales. Ils font de fréquens examens de conscience ; ils se repentent, ils deviennent meilleurs. Il est clair que tout cela est plus rare dans nos romans, sans doute parce que c’est plus rare aussi dans nos mœurs. J’ai remarqué que les