dans les gaucheries, les lenteurs ou les obscurités. Sous cette forme neutre, cette espèce de cote mal taillée qu’est une traduction, sous ces mots français recouvrant un génie qui ne l’est pas, de vieilles vérités ou des observations connues me font l’effet de nouveautés singulières. J’y veux trouver et j’y trouve une saveur, une couleur, un parfum...
Et cela, certes, je ne l’invente pas toujours. Ce qui nous plaît, au bout du compte, dans les œuvres septentrionales, c’est l’accent, l’accent nouveau, particulier, d’idées, de sentimens, d’imaginations qui ne nous étaient point inconnus.
La Norvège a des hivers interminables, presque sans jours, coupés par des étés éclatans et violens, presque sans nuits. Condition merveilleuse, soit pour mener lentement et patiemment ses visions intérieures, soit pour sentir avec emportement. Londres, près de qui Paris n’est qu’une jolie petite ville, est la capitale de la volonté et de l’effort: et je crois aussi que c’est une excellente atmosphère pour la réflexion qu’un brouillard anglais. Je n’ai point vu la steppe : pour l’imaginer, je multiplie l’étendue et la mélancolie des bruyères, des étangs et des bois de Sologne, l’hiver. Puis il y a le passé russe, le passé anglais, le passé norvégien, les traditions, les mœurs publiques et privées, la religion, et la marque de tout cela imprimée aux cerveaux norvégiens, anglais et russes. Bref les écrivains du Nord, et c’est là leur charme, nous renvoient, si vous voulez, la substance de notre propre littérature d’il y a quarante ou cinquante ans, modifiée, renouvelée, enrichie de son passage dans des esprits notablement différens du nôtre. En repensant nos pensées, ils nous les découvrent.
Ils ont, semble-t-il, moins d’art que nous, une moindre science de la composition. Des œuvres comme Middlemarch sont décourageantes par leur prolixité. Il faut huit jours, à ne faire que cela, pour lire la Guerre et la Paix. De telles dimensions ont, en soi, quelque chose d’anti-artistique. Il est à peu près impossible d’embrasser de pareils ensembles, de tenir à la fois présentes à sa mémoire toutes les parties qui devraient conspirer à la beauté de l’œuvre et, par conséquent, de connaître au juste et d’apprécier cette beauté. Les détails superflus et vraiment insignifians pullulent. Je ne suis d’ailleurs nullement persuadé que ces écrivains aient plus d’émotion que les nôtres; et ils n’ont assurément pas plus d’idées générales. Mais ils ont, plus que nous, le goût et l’habitude de la vie intérieure, et ils sont, plus que nous, religieux.
Plus patiens, — non point peut-être plus pénétrans, mais d’une plus grande endurance, si je puis dire, dans la méditation