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le charmait toujours par son originalité enfantine... » Et sur Ralph : « Il avait une croyance, une seule, qui était plus forte que les mille croyances de Raymon. Ce n’était ni l’Église, ni la monarchie, ni la société, ni la réputation, ni les lois qui lui dictaient son sacrifice et son courage, c’était sa conscience. Dans l’isolement, il avait appris à se connaître lui-même, il s’était fait un ami de son propre cœur. »

Indiana, c’est déjà Norah. Elle s’enfuit de chez le colonel Delmare dans le même sentiment que Norah de chez Helmer. Ce que Norah va chercher, Indiana le rencontre ; Indiana, épousant Ralph en présence de la nature et de Dieu, c’est Norah, après sa fuite, trouvant l’époux de son âme, le choisissant dans sa liberté. — Et Lélia, c’est déjà Hedda Gabler. Elle a un orgueil au moins égal, et le même sentiment pléthorique, si je puis dire, des droits de l’individu. Elle traite Stenio comme Hedda traite Eilert Lovborg. Ce significatif roman est plein des plus délirans cris d’orgueil intellectuel et moral qu’on ait jamais poussés. — Et la Dame de la mer, c’est Jacques, sauf le dénouement. Comme Jacques, Wangel donne à sa femme la permission de suivre un autre homme. L’une en profite, et l’autre non, voilà toute la différence. — Ibsénienne, Marcelle qui, dans le Meunier d’Angihault, renonce à tout, se fait sa religion, épouse un ouvrier après une année d’épreuve. Ibsénien, Trenmor dans Lélia. C’est au bagne, où il était pour un crime de passion, que, forcément seul avec lui-même, il a connu la vérité. « Le secret de la destinée humaine, sans cet enfer, je ne l’aurais jamais goûté... Cette surabondance d’énergie, qui s’allait cramponnant aux dangers et aux fatigues vulgaires de la vie sociale, s’assouvit enfin quand elle fut aux prises avec les angoisses de la vie expiatoire... »

Et enfin, la nouvelle religion, le christianisme naturel, celui qu’Ibsen prophétise sans l’expliquer clairement nulle part, ce qu’il appelle le « troisième état humain », qui sera fondé « sur la connaissance et sur la croix » (le second étant fondé seulement sur la croix, et le premier seulement sur la connaissance), ai-je besoin de vous avertir que vous en rencontrerez du moins, dans George Sand et ses contemporains, de vastes et vagues esquisses? « Trenmor croit à l’avènement d’une religion nouvelle, sortant des ruines de celle-ci, conservant ce qu’elle a fait d’immortel... Il croit que cette religion investira tous ses membres de l’autorité pontificale, c’est-à-dire du droit d’examen et de prédication... » Etc., etc. Et, là-dessus, lisez Spiridion, si vous en avez le courage.

Que si Henri Ibsen n’était déjà pas tout entier, quant aux