revendication des droits de la conscience individuelle contre les lois écrites, qui ne prévoient pas les cas particuliers, et contre les conventions sociales, souvent hypocrites et qui n’attachent de prix qu’aux apparences. Et c’est aussi, en quelques endroits, le rachat et la purification par la souffrance. C’est, dans nos relations avec autrui, la miséricorde indépendante, le pardon de certaines fautes que le pharisaïsme, lui, ne pardonne pas. C’est, dans le mariage, l’union parfaite des âmes, union qui ne saurait reposer que sur la liberté et l’absolue sincérité des deux époux et sur l’entière connaissance et intelligence qu’ils ont l’un de l’autre. C’est enfin la conformité de la vie à l’Idéal, — un idéal qu’Ibsen ne définit guère expressément, où l’on distingue un peu de naturalisme antique et beaucoup d’évangile, mais d’un évangile orgueilleux et raisonneur, des velléités de socialisme et, presque dans le même temps, la superbe d’un dilettantisme aristocratique et, sur le tout, une couche de pessimisme. Je ne puis mettre dans cette affaire plus de précision qu’Ibsen n’en met lui-même. Mais c’est sans doute dans un sentiment général de révolte que se résolvent les élémens contraires dont son « rêve » semble formé. Bref, Ibsen est un grand rebelle, un homme qui est mécontent du monde et inquiet avec génie.
Or, tout ce que je viens de dire (je ne parle que des idées, puisque c’est de ses idées plus encore que de sa forme que l’on fait honneur à Ibsen), n’est-ce pas précisément la substance des premiers romans de George Sand? Et, si je la nomme de nouveau, c’est qu’elle eut un merveilleux don de réceptivité et qu’elle refléta toutes les idées et toutes les chimères de son temps. Oui, on nous a déjà dit que le mariage est une institution oppressive, s’il n’est pas l’union de deux volontés libres et si la femme n’y est pas traitée comme un être moral. Déjà on nous a parlé des conflits de la morale religieuse ou civile avec l’autre, la grande, celle qui n’est pas inscrite sur des Tables ; et déjà, chez nous, on a opposé les droits de l’individu à ceux de la société ; et l’on a cherché le néo-christianisme, le vrai, le seul, la religion en esprit. Nous avons entendu ces choses entre 1830 et 18S0, et je doute que, même alors, elles fussent toutes parfaitement neuves.
Je n’ai pas relu, je l’avoue, les quatre-vingts volumes de George Sand ; mais je sais ce qu’ils renferment et j’en ai été longtemps imprégné. Je ne choisis pas; j’ouvre son premier roman, et je lis (page 152) : « Indiana opposait aux intérêts de la civilisation érigés en principes les idées droites et les lois simples du bon sens et de l’humanité; ses objections avaient un caractère de franchise sauvage qui embarrassait quelquefois Raymon et qui