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le coût d’établissement de la voie serait amorti, et n’exiger que le remboursement des frais de transport et d’entretien de la voie, des stations et du matériel. Il serait possible, en appliquant cette théorie, de réduire d’au moins moitié, peut-être des deux tiers les prix actuels. Nous pensons que l’État ménagera la transition et, tout en réduisant les tarifs, les maintiendra à un taux qui lui donne un certain bénéfice. Si nombreux que soient les voyageurs et les expéditeurs de marchandises, ils le sont encore moins que les contribuables, propriétaires des lignes, et l’intérêt de ces derniers sera toujours celui de la majorité.

Mais ce n’est point notre affaire que de dresser un plan de la conduite qu’auront à tenir de 1950 à 1960[1] les ministres des Finances et des Travaux publics. Le devoir impérieux qui nous incombe est de ménager pour nos successeurs cette réserve unique de nos budgets. Nous avons déjà, par la création abusive de rentes perpétuelles, grevé l’avenir plus qu’aucun autre peuple. Alors que la Russie, par exemple, n’a pour ainsi dire contracté aucun emprunt qui ne soit remboursable en moins d’un siècle, alors que l’Angleterre diminue tous les ans sa dette par des rachats ou par des conversions de rentes perpétuelles en rentes viagères, nous n’avons d’amortissement obligatoire que pour un sixième environ de notre dette totale. Il serait coupable de ne pas laisser les compagnies de chemins de fer continuer à rembourser tous les ans une fraction de leur capital. Or tout projet de rachat aboutirait fatalement à un ralentissement ou à une suppression de cet amortissement qui est notre planche de salut, la pierre angulaire de nos budgets. On décorait jadis de ce nom le fameux chapitre V, celui que M. Thiers avait imposé et défendu si énergiquement contre toutes les attaques, mais qui a peu à peu maigri au point de ne plus s’élever aujourd’hui qu’à une somme dérisoire. Puisque l’État n’a plus la force d’amortir, qu’il laisse du moins ses fermiers dégager peu à peu son domaine de l’hypothèque qui le grève.

Sans donc entrer dans les interminables discussions sur les mérites respectifs de l’exploitation des chemins de fer par l’État ou par l’industrie privée, personne ne niera qu’au seul point de vue de nos budgets, de l’équilibre futur de nos finances, il est indispensable de laisser les sociétés actuelles achever leur œuvre libératoire. On nous objectera que l’État, après avoir racheté les chemins, pourrait continuer l’amortissement du capital. Nous répondrons que le ministre le plus énergique ne résisterait pas à la tentation d’équilibrer son budget en diminuant d’abord, puis

  1. La concession du Nord expire en 1950; celle de l’Est en 1954; celle de l’Orléans en 1956; celle de l’Ouest en 1956; celle du Lyon en 1958; celle du Midi en 1960.