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abaissement de leur prix. C’est une vérité que personne ne conteste, mais sur laquelle on n’a pas encore assez insisté, malgré sa banalité apparente. Cette facilité avec laquelle les denrées et marchandises de toute nature s’expédient d’un point du globe à un autre est telle, que les préoccupations de l’univers semblent être devenues exactement le contraire de ce qu’elles ont été au cours des siècles dont l’histoire nous a gardé le souvenir. Les hommes ont eu jusqu’à nos jours le souci constant d’assurer leur existence, c’est-à-dire la nourriture, le vêtement et le logement, pour eux et leur famille. Les gouvernemens, quels qu’ils fussent n’ont cessé de les y aider par les moyens les plus divers. Le Sénat et les empereurs romains tremblaient lorsque la flotte n’apportait pas assez vite les grains d’Egypte et d’Afrique, grâce auxquels on servait le pain et la sportule aux foules avides de la Ville Eternelle; la République de Venise, les ports hanséatiques cherchaient par leur commerce à procurer à leurs citoyens les denrées dont ils avaient besoin. Malgré tous les efforts, des famines terribles désolaient de temps à autre la surface du globe. Sans remonter bien loin dans l’histoire, la fin du XVIIIe siècle, à la veille même de la Révolution, n’a-t-elle pas vu la disette sévir dans notre riche pays de France? Soixante ans plus tard, une mauvaise récolte inquiétait le ministère de Louis-Philippe au point de lui faire conclure une convention avec la Russie pour le paiement des blés qu’il nous fallait importer. Il y a quelques années, l’Hindoustan était décimé par la famine. Or l’Inde figure aujourd’hui parmi les pays dont le blé nous approvisionne. Les chemins de fer ont opéré cette révolution.

A travers le monde, en Europe comme en Amérique, retentissent les plaintes des producteurs qui gémissent de ne pas écouler leurs marchandises, ou de ne le faire qu’à des prix inférieurs au coût de la production. Les agriculteurs européens déclarent ne pouvoir soutenir la concurrence avec ceux du dehors, les grands pays occidentaux se sont entourés d’un rempart douanier formidable : les droits d’entrée du blé en France égalent à cette heure le prix de la denrée à Chicago, où le quintal de froment vaut en effet tout juste sept francs. On se préoccupait autrefois de faire circuler les marchandises, non pas seulement de continent à continent, de pays à pays, mais de province à province. On cherche aujourd’hui à les arrêter. On voyait au siècle dernier la Brie et la Beauce regorger de grains, tandis que le Berri ou l’Auvergne en manquaient, sans qu’il fût possible de leur en expédier assez vite. Il n’est même pas nécessaire de remonter au siècle dernier ni d’aller loin de nous pour nous trouver en présence