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Si jamais cette prudence fut nécessaire, c’est à coup sûr pour le régime de nos chemins de fer, que des esprits agités ont rêvé de transformer radicalement sans que la communauté en doive retirer un véritable profit. Ce qui nous plaît au contraire dans l’organisation actuelle, — telle que l’ont faite les concessions primitives et les nombreuses conventions intervenues depuis lors, — c’est un heureux mélange des droits de l’Etat et de ceux des Compagnies, un partage d’attributions équitable entre le nu-propriétaire et l’usufruitier, qui laisse la porte ouverte à des améliorations constantes, à des perfectionnemens incessans, et qui nous achemine par degrés à l’époque relativement proche où l’Etat entrera en pleine jouissance de ce magnifique domaine. C’est en effet vers le milieu du siècle prochain qu’expirent les concessions accordées aux six principales compagnies. Nord, Est, Ouest, Lyon, Midi, Orléans, celles que visent plus spécialement les polémiques, celles d’ailleurs dont les lignes représentent à elles seules les cinq sixièmes des réseaux français et algériens[1].

Ce point de vue domine à notre sens la question. Il est presque constamment ignoré ou négligé par ceux qui la traitent et nous paraît de nature à rallier à nos conclusions tous ceux qui, ayant souci des finances publiques, voudront bien réfléchir au rôle déjà si important que les chemins de fer jouent dans notre budget et qui est appelé à s’accroître sans interruption. Nous sommes d’autant plus à l’aise pour nous exprimer librement à cet égard que, dans une circonstance récente et fameuse, nous avons attiré l’attention du public sur la question obscure de la durée de la garantie d’intérêt, et que nous n’avons pas caché notre sentiment plutôt favorable à l’interprétation, sous ce rapport, des conventions de 1883 selon les vues de l’Etat. Si donc nous allons aujourd’hui exposer les nombreux argumens qui nous paraissent militer en faveur du statu quo, c’est dans le seul intérêt du public, pour qui les services nous semblent pouvoir être le plus utilement organisés sous le régime actuel, et du Trésor, qui ne pourrait procéder au rachat des chemins de fer qu’à des conditions onéreuses dans le présent et grosses de dangers pour l’avenir.


II

Parmi toutes les causes de la révolution économique qui marque la seconde moitié du XIXe siècle, il n’en est pas de plus puissante que la multiplication des moyens de transport et le prodigieux

  1. Au 31 décembre 1893, la longueur des chemins de fer français et algériens dépassait 40 000 kilomètres, dont 33 000 exploités par les six grandes Compagnies.