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LES CHEMINS DE FER FRANÇAIS


I

La fin du XIXe siècle remet tout en question. De quelque côté que nos regards se tournent, nous voyons nos contemporains inquiets ne pas savoir à quel principe s’arrêter, quelle conduite tenir, et se demander s’il ne faut pas reconstruire tout sur de nouvelles bases. Cette disposition d’esprit procède d’un louable amour du progrès, mais peut amener les conséquences les plus désastreuses au point de vue de l’organisation, ou plutôt de la désorganisation du pays. Elle identifie à tort l’idée de changement avec celle d’amélioration : c’est là le trait caractéristique de notre époque. N’avons-nous pas vu, dans le domaine de l’instruction publique, les maîtres les plus éminens s’éprendre après 1870 de réformes qu’ils ont impérieusement réclamées, obtenues, appliquées, et sur la plupart desquelles ils demandent eux-mêmes à revenir aujourd’hui? Est-ce qu’en matière de service militaire des esprits clairvoyans, qui percent peut-être les ténèbres de l’avenir, n’ont pas prédit le retour à des armées moins nombreuses que celles où s’enrégimente aujourd’hui la nation tout entière? Et la conclusion à tirer de ce coup d’œil jeté sur un passé qui ne date que d’hier, n’est-elle pas qu’il faut user d’une prudence extrême dans la discussion des grands problèmes de notre outillage national? Les motifs qui ont fait agir nos pères peuvent nous échapper; mais nous devons a priori respecter leur œuvre et ne pas porter une main téméraire sur l’édifice avant de savoir quel service nous rendrait celui que nous prétendons reconstruire à sa place.