Page:Revue des Deux Mondes - 1894 - tome 126.djvu/814

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

reçoivent les nouvelles aigles avec des acclamations, mettent pour les prises d’armes de petits drapeaux dans les canons de leurs fusils, élèvent à leurs frais un monument au Golfe Jouan, font frapper des médailles commémoratives du retour de Napoléon, abandonnent un jour, deux jours, cinq jours de solde pour les frais de la guerre, quittent leurs garnisons et traversent villes et villages en criant : Vive l’Empereur ! et en chantant le Père la Violette! ils déchirent les drapeaux blancs en lambeaux, qu’ils emploient aux plus vils usages, arrêtent eux-mêmes les embaucheurs et les bourrent de coups de crosse, arrachent les déserteurs des mains des gendarmes et les dégradent sur-le-champ ; ils veulent doubler les étapes pour être aux premières batailles, déclarent qu’ils n’ont point besoin de cartouches puisqu’ils comptent aborder l’ennemi à la baïonnette, et disent « qu’ils se f... de leur peau pourvu que l’Empereur rosse les Alliés. »

Nerveuse, impressionnable, sans discipline, suspectant ses chefs, troublée par la crainte des trahisons et ainsi accessible peut-être à la panique, mais aguerrie et aimant la guerre, enfiévrée de vengeance, capable d’efforts héroïques et de furieux élans, et plus fougueuse, plus exaltée, plus ardente à combattre qu’aucune autre armée républicaine ou impériale, telle était l’armée de 1815. Jamais Napoléon n’avait eu dans les mains un instrument de guerre si redoutable ni si fragile.


HENRY HOUSSAYE.