Page:Revue des Deux Mondes - 1894 - tome 126.djvu/778

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Dans les départemens à esprit royaliste, où les rappelés se sentaient soutenus par la population, les séances d’examen furent tumultueuses. On criait : « Nous ne partirons pas. Vive le Roi! » A Bordeaux, la troupe de ligne arriva fort à point, baïonnette au canon, pour dégager les membres du conseil menacés de mort. Dans la crainte d’une insurrection de l’Ouest, qui n’en éclata pas moins, l’Empereur autorisa plusieurs préfets à appliquer le décret avec de grands ménagemens et même à en suspendre l’exécution. Malgré tout, la levée donna plus d’hommes que l’on n’en pouvait raisonnablement attendre : dans les premiers jours de juin 52 446 rappelés avaient été incorporés et 23 448 étaient en route pour rejoindre.

Les engagemens volontaires qui avaient été si rares pendant la campagne de 1814 s’élevèrent à environ 15 000. Une ordonnance royale du 31 décembre 1814 accordait à chaque enrôlé volontaire une prime de 50 francs ; l’Empereur supprima cette allocation. « Ce moyen, dit-il, ne peut s’allier avec les sentimens qui portent les Français à la défense de leur indépendance. » Pour provoquer les enrôlemens, il pensa d’ailleurs à faire lire par des officiers de la garde, avec accompagnement de tambours, des appels aux armes sur les places publiques, dans les villages et autour des ateliers. Mais, Davout lui ayant représenté que « ce serait du désordre inutile, » il laissa là ce moyen renouvelé des sergens recruteurs du XVIIIe siècle.

Réduite à quelques bâtimens en état de prendre la mer, sans équipages (les deux tiers des matelots avaient été envoyés en congé) et sans approvisionnemens, la flotte ne pouvait être employée que pour des croisières dans la Méditerranée. Avec les hommes disponibles dans les ports et les inscrits maritimes à lever, l’Empereur espérait constituer 50 à 60 bataillons de matelots. On en forma à grand’peine une douzaine, et au milieu de juin un seul avait été mis en route; il formait la garnison de Calais. Les trois régimens d’artillerie de marine, d’un effectif réel sous la Restauration de 5 096 hommes, furent portés à environ 5 600 hommes par l’organisation d’un nouveau bataillon. Ces canonniers restèrent dans les ports dont ils devaient assurer la défense; deux bataillons toutefois furent détachés à Paris, un autre vint à Lyon et un quatrième combattit en Bretagne dans le corps du général Bigarré.

Des trois régimens étrangers qui existaient sous Louis XVIII, l’Empereur conserva le deuxième (Isenberg) et le troisième (Irlandais), présentant ensemble 875 baïonnettes ; le premier (La Tour d’Auvergne), resté fidèle au duc d’Angoulême pendant sa courte campagne du Midi, fut dissous. L’Empereur eût désiré garder