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LA DERNIÈRE ARMÉE DE L’EMPIRE
1815[1]


I

Quand Napoléon rentra aux Tuileries, le 20 mars 1815, l’armée française comptait 196 186 officiers et soldats dont 7 945 en Corse et dans les colonies. Si l’Empereur se fût senti la toute-puissance de naguère, il eût recouru, pour tripler cette armée à une levée extraordinaire sur les classes de 1806 à 1814, au rappel de la classe de 1815 et à l’appel anticipé de la classe de 1816. Mais il hésitait, après le retour de l’île d’Elbe, à employer des mesures extralégales telles que le rétablissement de la conscription, abolie par Louis XVIII. Il avait donc pour seules ressources le retour dans les corps des soldats en congé limité et illimité et le rappel des nombreux déserteurs portés sur les états de situation comme « rentrés dans leurs foyers sans permission. » Les hommes en congé de semestre s’élevaient à 32 800, les déserteurs à 85 000 environ. On pouvait compter sur

  1. Afin d’éviter, dans la Revue, les notes de références qui seront données ailleurs, je dirai en commençant que, comme pour mes autres travaux sur l’Empire, je me suis presque exclusivement servi pour cette étude des documens manuscrits des Archives nationales, des Archives de la Guerre, et des Archives de la Marine.
    Je dirai aussi, une fois pour toutes, que je ne m’arrêterai pas à discuter les chiffres des effectifs cités par l’Empereur à Sainte-Hélène, ni ceux donnés par le colonel Charras, Napoléon et Charras majorant ou diminuant tour à tour le nombre des soldats, le premier dans l’intérêt de sa mémoire, le second dans l’intérêt de sa thèse. Les tableaux donnés dans la Relation écrite par Gourgaud à peu près sous la dictée de l’Empereur et dans les Mémoires pour servir à l’histoire de France en 1815, sont en général de purs trompe-l’œil. Quant aux états de situation cités par Charras d’après des copies à lui envoyées de Paris, ils présentent presque tous de très notables différences avec les originaux des Archives de la Guerre. Est-ce le copiste qui a mal copie ou Charras qui a mal lu?