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de Madagascar, au point de ne pas garder la disponibilité de nos mouvemens dans le reste du monde. Nous avons toujours recherché de meilleurs rapports avec l’Angleterre : de meilleurs rapports entre elle et la Russie ne sont pas pour nous déplaire. Si même, comme on commence à le dire, l’Angleterre devait aller jusqu’à déchirer les derniers restes du traité de Paris et à renoncer, en ce qui la concerne, à l’interdiction du passage des navires de guerre à travers le Bosphore et les Dardanelles sans l’autorisation du sultan, ce n’est pas nous qui nous en plaindrions le plus; mais il faut avouer que nous en serions surpris, et, pour le coup, nous nous demanderions quel avantage la Russie aurait pu assurer à sa nouvelle amie en échange de cette incroyable concession. Nous ne parvenons pas à le découvrir en parcourant la carte du monde, même en cherchant à l’Extrême-Orient. Quels que soient les intérêts de la Russie dans la mer de Marmara et dans la Méditerranée, elle en a dès aujourd’hui qui ne sont guère moindres dans les mers de Chine. Les grands pays poursuivent leur politique sur tous les points en même temps, sans rien abandonner, sans rien sacrifier. C’est ce que nous faisons, patiemment mais résolument, et il en est vraisemblablement de même de l’Angleterre et de la Russie.

Quant à cette dernière, elle nous a donné depuis un mois des marques assez nombreuses de sa sympathie pour que nous ne puissions pas la mettre en doute. Notre mission militaire a reçu à Saint-Pétersbourg un accueil dont nous avons été touchés. Il se justifie d’ailleurs par la sincérité des sentimens avec lesquels la France entière a pris part jusqu’au bout au deuil et aux joies de la Russie. Nous nous sommes affligés de la mort d’Alexandre III ; nous nous sommes réjouis de voir Nicolas II contracter une union que le peuple russe a applaudie. Le jeune empereur a voulu que le général de Boisdeffre et l’amiral Gervais, après avoir assisté aux cérémonies funèbres où ils se sont associés à sa douleur, assistassent au mariage où il a mis l’espérance de son bonheur. Ils ont été l’objet, dans cette circonstance, d’une distinction tout exceptionnelle qui ne pouvait manquer de nous être sensible. Les liens qui unissent les deux pays restent les mêmes : la mort du père n’a pas pu les relâcher, et la volonté du fils les a plutôt resserrés.


FRANCIS CHARMES.


Le Directeur-gérant

F. BRUNETIERE.