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un homme hardi, M. Cecil Rhodes, a donné en quelques années une réalité inquiétante. Ne devions-nous pas, nous aussi, dans ces régions lointaines, situées sur une des plus grandes routes du monde d’aujourd’hui et du monde de demain, chercher et occuper une situation propre à donner, dans certaines éventualités, une base et un appui à notre politique orientale ? Il n’y a rien de tel que de parler à l’imagination des Chambres, surtout lorsqu’on a épuisé, comme on l’avait déjà fait, tout ce qui s’adresse à leur raison. Ces grandes vues, ces immenses perspectives ont exercé sur la majorité une sorte d’attraction, et les applaudissemens ont éclaté presque unanimes. La cause était entendue, mais, cette fois, elle a été pleinement gagnée. Il y a eu, dans la Chambre, une véritable union patriotique, grâce à laquelle bien des doutes se sont, pour un moment, dissipés. M. Henri Brisson y a contribué à son tour en apportant au gouvernement le concours d’un homme qui est son adversaire dans la politique intérieure, mais qui n’hésite pas à le soutenir dans une œuvre vraiment nationale. La droite, enfin, a tenu à prendre attitude avant le vote, et M. le prince de Broglie, tout en rejetant la responsabilité des fautes du passé, tout en conservant sa liberté pour les solutions de l’avenir, a déclaré en très bons termes que ses amis et lui voteraient l’expédition. « Aujourd’hui, a-t-il dit, l’union doit se faire autour du drapeau dont la défense est confiée à nos vaillantes troupes de terre et de mer. La France peut, grâce à Dieu ! ne rien craindre et tout espérer. »

En somme, en dehors des socialistes, personne n’était partisan de l’évacuation de Madagascar ; mais les uns, comme M. Boucher (des Vosges), croyaient que l’occupation limitée à Diego-Suarez et à quelques points de la côte suffirait à garantir nos intérêts ; d’autres, comme M. Melchior de Vogüé, trop au courant des fautes accumulées dans nos entreprises coloniales antérieures pour ne pas essayer d’en prévenir le retour, au surplus parfaitement décidés à voter les crédits tels que le gouvernement les demandait, auraient voulu que l’expédition fût entourée de certaines garanties afin d’en mieux assurer les résultats pratiques, et de les rendre immédiatement réalisables. Si nous ne parlons pas davantage de ce discours, c’est que M. de Vogüé a tenu à exposer lui-même, dans cette Revue, les principales idées qu’il a présentées à la Chambre, et à les défendre par la plume après les avoir défendues par la parole. Quant à l’occupation limitée, l’erreur de ceux qui l’ont proposée a été de croire qu’elle pourrait avoir, avec plus de temps sans doute, mais aussi avec moins de frais, les mêmes résultats que l’expédition directe sur Tananarive. M. Brisson a rappelé que, ne pouvant pas faire mieux à cette époque, il avait essayé de ce système en 1885, et qu’il avait pu en constater l’impuissance. Ce n’est pas par un blocus qu’il est d’ailleurs presque impossible de rendre effectif, ce